Yvon Marrec

J’aime bien faire le portrait des gens qui ont marqué, par leur personnalité, certaines périodes de ma vie et de la vie sociale de la commune : le docteur Pochard, Xavier Grall, Marc Salomon et bien d’autres. Voici le portrait-souvenir d’une grande figure tréguncoise : Yvon Marrec, personnage dont la bonhomie et la truculence ravissaient de nombreux Tréguncois. Il aurait mérité de faire partie de la saga pagnolesque, mais avec un tel prénom ! [Robert Sellin]
Fils d’Yves, marin-pêcheur, et de Marie Anne Cariou, Yves Théophile Pierre Joseph Marrec voit le jour le 29 juin 1900 à Trégunc. Tout le monde le prénommera Yvon. Il se marie avec Marie Jeanne Le Goc à Beuzec-Conq le 29 janvier 1930. À Trégunc, son épouse est connue sous le prénom de Jeanne.
Un accordéoniste connu jusqu’à Penmarc’h
Dès son plus jeune âge, Yvon Marrec est attiré par la musique et se met à l’accordéon, instrument à la mode mais difficile à jouer. Il n’y a pas d’école de musique à l’époque et Yvon se forme sur le tas, patiemment et sûrement. Dans les années 1930, Yvon et son épouse Jeanne installent un café-épicerie à Kerouel. Yvon constitue un petit orchestre avec Barthélémy Le Dé au banjo et l’instituteur Jean Baron à la batterie. La formation se lance timidement dans l’animation des mariages. Quelques années plus tard, les époux Marrec vendent la boutique de Kerouel et s’installent dans un bistrot rue de Concarneau. Bientôt, ils font construire une salle de danse dans le jardin. À Trégunc, il y avait pourtant pléthore de salles de bal mais Yvon est un fonceur et un gagneur, il croit à sa réussite. Au bourg, on trouve déjà les salles Lavaux, Le Beux, Le Dé, Landrein, Kerangal, Drouglazet, une seconde salle Le Beux et à Saint-Philibert la salle Le Cras, une belle concurrence qui n’effraie pas Yvon Marrec.
Yvon et Jeanne décident de proposer des repas de mariage. Il a une riche idée, inédite à Trégunc, pour attirer une clientèle ; il accompagne à l’accordéon les cortèges nuptiaux jusqu’à la mairie et l’église.
Un mariage chez Marrec en 1947
Lorsqu’un couple décide de se marier, il convie un grand nombre de personnes et, contrairement à aujourd’hui, les invités paient leur repas mais ne font pas de cadeau. En 1924, un mariage a ainsi compté six cents invités. Cela fait de beaux cortèges. Dès le matin, le marié reçoit ses invités chez lui, au menu : bannig traou dous (apéritif Saint-Raphaël), pain doux, gâteau breton, far, vin, cidre… Ensuite, tout ce monde se rend chez la mariée où un menu identique est proposé. Les invités de la mariée se retirent pour laisser la place aux nouveaux arrivants. À onze heures, le cortège se rend à la mairie et c’est à ce moment-là qu’intervient Yvon Marrec. Il prend la tête du cortège, accordéon en bandoulière, jusqu’à l’église. Là, il dépose son instrument sur une chaise et part à d’autres occupations. Une heure plus tard, il revient, reprend l’accordéon et en joue pendant que le photographe assure les prises de vues de la noce installée sur les marches du grand escalier de l’église Saint-Marc.
Trois quarts d’heure plus tard, les photos terminées, le cortège se reforme avec à sa tête Yvon Marrec. La coutume de l’époque veut que le garçon d’honneur fasse la masse (caisse commune que tous les invités alimentent selon leur gré). Le garçon d’honneur et les mariés dressent la liste des bistrots dans lesquels le cortège doit faire une halte ; à cette époque, il y a vingt-huit bistrots au bourg de Trégunc. La liste est remise à Yvon Marrec qui prend la tête du cortège en jouant des airs connus jusqu’au premier bistrot. Le rituel se répète ainsi jusqu’à l’épuisement de la cagnotte, en général vers 16 heures. Pendant ce temps les mariés se font photographier chez Glémarec à Trégunc ou chez Le Merdy à Concarneau.
Il est temps alors de se mettre à table. Au menu, des huîtres ouvertes depuis huit heures du matin, du jambon macédoine, de la langue de bœuf, du ragoût de veau aux pruneaux, du moka à la crème au beurre, tout cela préparé par Victorine Sellin, la sympathique cantinière de chez Yvon Marrec ! Les repas sont servis au rez-de-chaussée, sous la salle de danse. Avant le dessert, Jeanne Marrec, l’épouse d’Yvon, passe auprès des convives avec sa boîte en fer-blanc pour encaisser le prix du repas. Ceux qui essaient de se soustraire en allant aux toilettes ou ailleurs sont rares et vite repérés. Jeanne a l’œil et retrouve toujours les resquilleurs.
Les bals de noce
Traditionnellement, les bals de noce sont gratuits, aussi les jeunes se pressent-ils très nombreux dans la salle de danse. Ils s’asseyent sur la banquette qui fait le tour de la pièce et attendent patiemment que le repas de noce se termine. L’orchestre s’installe sur une estrade à trois mètres de hauteur et entame son répertoire. Le cortège de la noce arrive enfin, les mariés mènent l’entrée du bal et ce n’est qu’à partir de ce moment que les jeunes envahissent la piste. Le bal dure jusqu’à une heure du matin, assurant une ambiance bien animée dans le bourg. Ainsi se déroulaient les mariages à Trégunc avant-guerre et jusque dans les années 1950.

Les bals organisés chez Marrec et Drouglazet
Il y a une concurrence acharnée entre les deux principales salles de Trégunc. Drouglazet a beaucoup de mal à attirer les jeunes chez lui, voici pourquoi : Yvon Marrec bénéficie du premier arrêt du car Guivarc’h qui vient de Concarneau et transporte de nombreux jeunes dont la majorité descend là, surtout les filles. Yvon Marrec est malin (normal pour un gars de Trégunc), il fait entrer gratuitement les premières filles. Les garçons qui vont chez Drouglazet, ne voyant pas ou que peu de filles repartent chez Marrec. Là, les filles sont assises sur les bancs qui entourent la salle et si les cavaliers n’osent pas traverser la piste pour aller les inviter, elles dansent entre elles pour ne pas faire tapisserie. Cette petite guerre entre les deux tenanciers dure quelques années. Enfin, ils comprennent qu’il est préférable de s’arranger et d’organiser les bals en alternant les dates. Et les orchestres en vogue à l’époque se succèdent, un dimanche chez l’un, le suivant chez l’autre.
Les salles n’ont aucune sécurité. Pour rejoindre la salle de danse chez Yvon Marrec, il faut emprunter un escalier en bois de 1,20 m de large. Yvon se tient régulièrement au milieu de l’escalier et surveille les allers et venues. Sa forte corpulence suffit à réguler le flux des entrants et des sortants et, lorsqu’il veut laisser passer le flux montant, il rentre sa forte bedaine pour libérer l’espace, hop allez-y ! Yvon a le premier l’idée d’utiliser un tampon encreur pour marquer les avant-bras des danseurs et ainsi faciliter les contrôles à l’entrée.
Les soirées ne sont pas toujours calmes. Quelques frictions, voire bagarres surviennent parfois et Yvon laisse à son épouse Jeanne la responsabilité de calmer les esprits.

Les bals masqués et les bals du pardon.
Yvon est le premier à organiser des concours de costumes. Les gens se rendent dans des commerces spécialisés à Quimper ou Concarneau pour louer des habits d’époque. Certes, ces bals masqués n’ont pas la réputation de ceux de Pont-Aven ou de Douarnenez mais, que ce soit chez Drouglazet ou chez Marrec, ils sont très fréquentés malgré les réticences du clergé qu’on peut lire dans le Kannadig du mois de février 1950 sous la plume du recteur de l’époque qui considère comme indécents, principalement les bals masqués, car le fait de ne pas être reconnu donne plus de facilité à l’indécence… Les parents veilleront à ce que les enfants ne participent pas à ces jeux dangereux. Il rappelle dans cette même revue que les danses comportent un grand danger pour la vertu. Nous sommes en 1950, depuis les opinions ont bien évolué.
Yvon Marrec, au son de son accordéon, entraîne le bal du pardon, tout le monde bras dessus bras dessous danse la gavotte. Des rubans de différentes couleurs sont attribués aux danseurs jugés les meilleurs par acclamation.
Salle de spectacle et de conférence
Gaby Allot, instituteur de l’école des garçons de la rue de Concarneau à Trégunc, de 1950 à 1957, se souvient des spectacles de théâtre de qualité organisés avec les élèves dans la toute proche salle Marrec. Plus tôt, le journal Le Finistère du 29 octobre 1927, rapporte que grâce à la libéralité du conseil municipal, l’école publique a été dotée d’un magnifique cinéma qui fonctionnera régulièrement tout l’hiver à la grande joie des amis de l’école. L’inauguration a eu lieu samedi 22 et dimanche 23 octobre dans la salle des fête de M. Marrec. Des conférences et des réunions politiques y étaient régulièrement organisées.
Aucun des enfants de Jeanne et Yvon ne désire prendre la succession et la salle est fermée au début des années 1960. Jeanine, la fille de Jeanne et Yvon, concourait dans les courses cyclistes avec le maillot du club cycliste de Concarneau, fait assez rare à l’époque. Yvon Marrec décède à son domicile, 12 rue de Concarneau à Trégunc, le 17 septembre 1961. Le bistrot est devenu une librairie-papeterie-presse et depuis peu un restaurant, la bibliothèque municipale a pris la place de la salle des banquets et des bals.




