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des Amis du Patrimoine de Trégunc

Au pays des pierres debout

Les blocs de granit affleurent généreusement le sol de la commune de Trégunc. Dans le Ma Bro n°5, nous avons vu que les tailleurs de pierres avaient su tirer parti de cette caractéristique géologique. Il y a plusieurs décennies, une technique particulière de construction a utilisé de grands blocs de granit dressés, les mein zav. Malgré de nombreuses destructions, il existe encore plusieurs réalisations architecturales singulières qui s’intègrent dans le paysage tréguncois et traduisent ainsi les savoir-faire et les usages de nos ancêtres.

Les pierres debout qu’on appelle aussi orthostates délimitaient les parcelles de terres, les bords de chemins, les aires à battre ou les jardins. Les fameux poteaux percés (post kloued) permettaient d’installer les barrières de bois ou les clôtures. Ces orthostates étaient également utilisés pour bâtir des habitations ou des dépendances. Au détour des chemins, certaines de ces constructions se dévoilent encore.

Chaumière et clôture en pierres debout
Une pierre suffit à constituer la hauteur du mur 

Les pierres debout espacées pouvaient servir de poteaux pour la construction d’un hangar (karr di). Jointives, elles constituaient les murs porteurs d’appentis, de granges ou de modestes habitations que nos ancêtres dénigraient parfois en leur donnant fort peu de valeur. L’origine des pierres debout reste méconnue. Les bâtiments de ce type que l’on aperçoit sur la commune de Trégunc sont difficiles à dater, la plupart remonterait à la toute fin du 18e siècle ou plus généralement au 19e siècle. Toutefois, dans son ouvrage Mémoires de Tréguncois, Robert Sellin présente un acte de vente de 1695 dans lequel il est question de pierres debout.

A Trégunc, pour nourrir une population qui a doublé au cours du 19e siècle, les paysans cherchaient à accroître les superficies labourables.  Ils souhaitaient débarrasser les champs des chaos rocheux qui les encombraient. Pour cette tâche, ils ont fait appel aux fendeurs et tailleurs de pierres. En même temps, les besoins en logement croissaient. Les blocs granitiques étaient débités sur place et les pierres obtenues constituaient un matériau de proximité solide utilisable pour construire d’humbles demeures, des bâtiments d’exploitation, des clôtures, des séparations…

Une pierre suffisait à constituer la hauteur du mur

Le transport de tels blocs en charrette ou en diable n’était pas aisé, les chemins étaient peu praticables. Certaines grosses pierres ont sans doute été traînées vers les chantiers de construction. Dès la seconde moitié du 19e siècle, les techniques de construction évoluaient. Les paysans se libéraient des contraintes imposées par les propriétaires terriens et les habitations se dotaient d’un étage. Pour ces bâtiments en pierres debout, d’un style si particulier, les fendeurs cherchaient à réaliser des pierres longues d’environ 2,70 m pour une largeur de 30 à 50 cm et une épaisseur de 20 à 25 cm. Les pierres étaient taillées sommairement, un peu plus régulièrement pour les façades généralement orientées au sud et exposées aux regards des passants ou des visiteurs. A l’arrière de la maison les pierres debout étaient plus grossières.

Très probablement qu’en certaines périodes hivernales, les marins ne pouvant aller en mer participaient aux opérations de déroctage. Ils trouvaient là de quoi monter rapidement un abri solide. Historiquement, les activités terrestres et maritimes étaient étroitement liées.

Dans les constructions les plus courantes, seuls les murs gouttereaux (portant gouttière) étaient en pierres debout. Celles-ci ont été dressées dans des tranchées de 50 à 70 cm de profondeur, puis bloquées par des pierres et du mortier de terre. Les parties supérieures des pierres devaient approximativement être au même niveau. Les interstices entre les pierres étaient colmatés par des petites pierres et ce même mortier.
Les pignons constituaient une partie importante des édifices. Larges de 70 à 80 cm, ils étaient montés en moellons, parfois avec des parements en pierre de taille. Un double chaînage d’angle en pierre de taille les rendait bien solides. Ils pouvaient accueillir une large cheminée dont les massifs corbeaux en granit traversaient le mur de part en part. La cheminée était un élément de fierté pour chaque famille. Le pignon était prolongé au-dessus du toit par une bande de pierres taillées, la chevronnière, qui protégeait le bord de la couverture des tempêtes.

La souche de cheminée en pierre de taille faisait l’objet de toutes les attentions.  A sa base, le larmier empêchait les infiltrations d’eau dans le mur. Le couronnement variait selon les temps et les modes. A la fin du 18e et dans la première moitié du 19e siècle les moulures doubles avaient un profil demi-circulaire. Au milieu du 19e siècle, le couronnement est plus massif et de forme arrondie. Plus tard, il est plus léger et le profil est anguleux.

Les quatre murs de ce type construction sont simplement jointifs. Ils ne s’imbriquent pas aux angles.

Les constructions en pierres debout et leurs usages

Dans son enquête publiée dans la revue Ar Men, Jean-François Simon a réalisé une typologie qui essaie de rendre compte de l’allure des différents bâtiments construits en mein-zav. On peut y voir deux grandes catégories : dépendances sans cheminée ou résidences avec une ou deux cheminées.

Les fenêtres sont petites et correspondent à une ou deux largeurs de pierres plus courtes. La sablière fait office de linteau.

Dans la première catégorie, ne possédant pas de cheminée, on trouve différentes sortes de hangars nommées karr-di pour certains, auxquels on ajoute un qualificatif en fonction de l’affectation du bâtiment : karr-di leur pour la grange, leur étant l’aire à battre, karr-di press pour le lieu où se trouve le pressoir. Certaines dépendances pouvaient être très longues. Jean-François Simon a relevé jusqu’à soixante pierres debout alignées ! Tout au contraire, il s’agissait parfois de simples appentis adossés à un pignon de la maison. D’autres fois les quatre murs étaient en pierres debout et dans ce cas la toiture avait quatre pans.

Dans la seconde catégorie, on classera les habitations. Les maisons les plus simples disposaient d’une pièce unique, d’un ou deux pignons, d’une seule cheminée. Quand la maison avait un seul pignon, les trois autres murs étaient en pierres debout et la toiture avait trois pans. Les maisons jumelées disposaient de deux foyers, les pièces à vivre étaient séparées par une mince cloison en bois.

Chaumière avec trois mur en pierres debout

Certaines maisons plus spacieuses disposaient de deux pièces à vivre, mais d’un seul foyer. On rencontrait d’autres configurations où personnes et animaux partageaient le même toit avec une porte unique ou deux portes distinctes, une cloison de planche séparant hommes et animaux. Des planches encastrées dans une pierre rainurée appelée mein speurenn constituaient la cloison.

Simplicité et modestie

A l’origine, les maisons en pierres debout étaient basses et étroites, constituées d’un rez-de-chaussée au sol en terre battue et, sous les combles, d’un grenier qui servait à entreposer certaines récoltes. Les penntiez (pluriel de pennti) de plain-pied constituaient l’habitat traditionnel de la population rurale. Ces demeures simples étaient habitées par de pauvres familles de paysans ou de pêcheurs.

Pour toutes ces constructions, les ouvertures étaient réalisées simplement : une porte et une ou deux fenêtres pour les maisons les plus modestes. Pas de linteaux. La sablière destinée à porter la charpente limitait les ouvertures par le haut. Pour les maisons, une feuillure taillée dans la pierre accueillait les boiseries des portes et des fenêtres. Les murs arrière, généralement orientés au nord, étaient aveugles.

 Sur la charpente, une bonne épaisseur de chaume constituait la couverture et isolait la bâtisse. Autrefois, c’était la paille de seigle coupée avant mûrissement qui était utilisée et le faîtage était recouvert de mottes de terre pour empêcher les infiltrations. Aujourd’hui, les chaumiers utilisent du roseau de Camargue et le faîtage est cimenté. Les dépendances pouvaient aussi être recouvertes de genêt. Le toit de chaume devait avoir une pente relativement forte pour préserver son étanchéité à l’eau.

Rénovation d’une couverture en chaume

Les constructions restaient étroites pour ne pas prendre trop de hauteur, mais elles pouvaient être relativement longues. On utilisait les matériaux locaux exploitables à proximité du site de construction, privilégiant ainsi, les circuits courts pour des raisons économiques.

Un patrimoine remarquable

Aujourd’hui, certaines de ces bâtisses tombent en ruines et semblent oubliées au bord de chemins peu fréquentés. D’autres ont été rénovées et mises en valeur. Elles sont réhabilitées en résidences principales ou secondaires ou encore destinées à la location saisonnière. Pour rendre l’étage habitable, les toitures de chaume se sont parées de lucarnes à joues galbées.

En 1993, grâce à cette originalité architecturale, les communes de Trégunc et Névez avaient obtenu le label Paysages de reconquête décerné par le Ministère de l’environnement à des communes possédant un patrimoine original et ayant la volonté de le mettre en valeur.

Ce patrimoine authentique affirme une identité forte qui suscite la curiosité des visiteurs. Héritage des savoir-faire en matière de construction de l’habitat rural, il mérite certainement une attention toute particulière.

L’auteur

Sources

Les maisons en pierres debout de Jean-François Simon in Armen n° 68 de juin 1995
Tiez, Le paysan breton et sa maison, Jean François Simon, Editions de l’Estran 1988
Mémoires de Tréguncois, Robert Sellin 2004
• Le site de l’Office de tourisme de Trégunc consulté en 2014

2 commentaires

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  1. Je n'arrive pas à commander le livre de Robert Sellin « Mémoires de Trégunçois » pouvez-vous m'aider à le commander car je l'ai trouvé très intéressant (dans un restaurant de Trégunc). Avec tous mes remerciements.Bernard Bador