Trégunc se libère
Les 6, 7 et 8 août 1944…

Durant la première semaine d’août 1944, les troupes allemandes subissent de nombreuses embuscades et attaques meurtrières dans le Finistère, les Monts d’Arrée, le Pays bigouden, à Fouesnant, Saint-Évarzec, Rosporden… et aussi à Trégunc. Les Allemands exaspérés décident de sévir.
Le samedi 5 août 1944, la Résistance apprend que des soldats russes 1 de la garnison cantonnée à l’école communale des filles de Trégunc (aujourd’hui école Marc Bourhis) envisagent de se rendre. Rendez-vous est pris pour le lendemain à 17 heures à la sortie du bourg, sur la route de Melgven.
La fusillade de Beg Rouz Vorc’h
Le 6 août à l’heure dite, le commandant Rincazaux est sur les lieux du rendez-vous, accompagné de nombreux FFI. Deux fusils-mitrailleurs sont mis en batterie, le guet est assuré depuis le clocher de l’église. À partir de 17 heures, les premiers soldats russes se succèdent et se rendent. Les maquisards comptent une douzaine de prisonniers, ils en attendaient davantage. Louis Lozac’h à la tête d’un groupe d’hommes est envoyé en reconnaissance pour tenter de retrouver les éventuels égarés. À l’approche de la garnison, ils aperçoivent un groupe de soldats russes se délassant dans le verger jouxtant l’école transformée en caserne. Deux maquisards se montrent et attirent l’attention des soldats pour les inviter à les rejoindre mais, au lieu de cela, les soldats russes donnent l’alerte ; les maquisards prennent la fuite en se couvrant par des tirs de mitraillettes et des jets de grenades.

Une dizaine de Russes emprunte la route de Melgven, vers Beg Rouz Vorc’h. Prosper Daoudal ouvre le feu avec son fusil-mitrailleur, quatre soldats s’écroulent, les autres ripostent et se retirent vers le bourg. Les maquisards regroupés se replient sans dommage. La reddition des Russes a échoué. Un peu plus tard le secteur de Beg Rouz Vorc’h est bouclé par les Allemands, les maisons sont fouillées, le pauvre Jos Sellin est mortellement blessé. Les gens du bourg craignent des représailles et passent une nuit effroyable.
En 1959, le maire de Trégunc déclare que, pendant les combats de Beg Rouz Vorc’h, six Allemands ont été tués et dix-sept faits prisonniers mais, selon les témoignages, ces chiffres diffèrent. Le décès des quatre soldats russes est porté sur le registre de l’état civil de Trégunc.
La rafle
Le 7 août 1944, dès six heures du matin, une nouvelle rafle débute au bourg de Trégunc, plus rapide que celle du 23 mai ; les objectifs sont différents mais la méthode est la même. À neuf heures, une centaine d’hommes du bourg sont enfermés dans le grenier de l’école communale des filles, ils attendent très inquiets en pensant à la rafle du 23 mai et à ses conséquences. Au bourg, il se dit que les raflés vont être fusillés. Eux-mêmes craignent pour leur vie, en représailles à la fusillade de la veille. C’est plus angoissant encore pour la cinquantaine d’hommes désignée dès le matin et qui risque d’être passée par les armes.
Puis les prisonniers entendent des convois allemands partir et c’est le silence, long et oppressant. Ces convois sont très armés, le commandant Rincazaux et le lieutenant Martin de la Résistance savent où ils vont car, depuis quelques jours, ils ont remarqué que tous les matins les mêmes convois se rendent au Pouldu et ramènent des hommes et du matériel, toujours aux mêmes horaires. Les Résistants ne veulent pas rester sur le demi-échec de la veille, ils décident de procéder à l’attaque de ce convoi et, après une reconnaissance des lieux, retiennent le virage de Kernaourlan, endroit judicieusement choisi permettant un décrochage facile. La volonté de la Résistance est de faire croire à une attaque d’envergure de plusieurs centaines d’hommes.
Au jour du 7 août, la Résistance était-elle au courant de la rafle de Trégunc et des mauvaises intentions de l’occupant ou ne le savait-elle pas ? Si la Résistance avait été mise au courant, cela aurait-il changé le cours des évènements ? Le plan d’attaque est prévu depuis la veille. Quarante résistants avec cinq fusils-mitrailleurs et vingt-cinq fusils attendent l’ordre du maquis de Saint-Antoine (Melgven), ils prennent des camions qui les transportent à un kilomètre du lieu choisi. Le groupe de Trégunc et Concarneau est placé sous les ordres de Louis Lozac’h.
L’attaque de Kernaourlan le 7 août 1944
Dans la matinée, partis du bois de Saint-Georges, quarante maquisards rejoignent à pied le lieu prévu pour l’attaque. Quatre fusils-mitrailleurs sont placés en première ligne, derrière un talus à environ 80 m de la route, le cinquième se place en soutien en arrière, pour protéger la retraite des maquisards en cas d’assaut de la troupe allemande. Rincazaux et Martin dirigent l’ensemble de l’opération, les consignes sont précises. Sous la chaleur, l’attente est longue. Dans une des deux fermes de Kernaour, la moisson est terminée ; près de la batteuse, cinq belles meules de pailles remplissent la cour, le grain est entreposé dans le grenier. Quand les fermiers aperçoivent les résistants préparer l’embuscade dans la prairie, ils angoissent, craignant des représailles en cas d’attaque.
À 13 h 30, le premier véhicule débouche du virage, suivi à quinze mètres par un second. La voiture du chef de convoi allemand double les camions, c’est le moment de déclencher les tirs ; sous les rafales meurtrières des résistants, les Allemands des trois premiers camions sont presque tous touchés, la surprise est totale, il y a de nombreux morts, deux véhicules sont en feu. Rapidement les batteries allemandes ripostent, le repli des maquisards est ordonné. Dans la ferme toute proche les cinq meules de paille s’enflamment, l’incendie prend vite de l’ampleur, la bâtisse voisine et la batteuse brûlent à leur tour. La toiture abritant les grains de la moisson est très abîmée par les impacts de balles.
Yves Berth, le tireur du cinquième fusil-mitrailleur, se met alors à tirer pour couvrir le départ de ses camarades mais le feu venant des autres camions se concentre sur lui, le groupe de résistants poursuit sa retraite sans être vu tandis que, pendant encore une demi-heure, l’ennemi continue à tirer violemment sur la position abandonnée.
Au retour des maquisards à Saint-Georges, un seul homme manque à l’appel, c’est le tireur du cinquième fusil-mitrailleur, Yves Berth. Le commandant Rincazaux, revenant sur les lieux de l’attaque, découvre le servant tué, gisant auprès de sa pièce, une balle en pleine tête.
Sur cinquante mètres, la route est maculée de sang et des centaines de douilles témoignent de la violence de la réaction allemande. Les maisons du voisinage ont été endommagées. Les camions en état de rouler ont remorqué les camions disloqués et brûlés, emportant morts et blessés jusqu’à Trégunc. Selon les témoignages, le nombre de morts allemands varie de vingt-sept à cinquante.
À la suite de cette action, les Allemands évacuent toutes les garnisons comprises entre Concarneau et Pont-Aven, dont la caserne de Trégunc ; ils sont paniqués, croyant, vu la force de feu des résistants, avoir eu affaire aux Américains qu’ils savent dans la région.
La centaine d’hommes enfermés dans le grenier de l’école communale des filles s’étonnent de ce départ précipité et se libèrent d’eux-mêmes.



Les intentions allemandes
Quelles étaient les intentions des Allemands ? Pourquoi ont-ils creusé une douzaine de fosses dans le verger Cariou et le bois de Kergunus ? Pourquoi ont-ils raflé les hommes du bourg ? La réponse viendra des Russes enrôlés de force dans l’armée allemande ; quatre-vingts soldats russes se sont laissés arrêter par la Résistance, ils ne tenaient pas à combattre dans la poche de Lorient. Certains ont dit qu’à titre de représailles, pour toutes les attaques qu’ils subissaient depuis une dizaine de jours, les Allemands avaient projeté de brûler les maisons du bourg de Trégunc, de fusiller les hommes raflés le matin du 7 août et de les enterrer dans les fosses prévues à cet effet. Trégunc aurait-il subi le même sort qu’Oradour-sur-Glane ? Probablement, si l’attaque de Kernaourlan ne s’était pas produite. À Rosporden, après une attaque de la garnison allemande par les maquisards, de terribles représailles ont été exercées (maisons brûlées, otages embarqués vers Lorient…).

À dix-neuf heures dans les rues de Trégunc, les habitants respirent, pensent au drame qui vient d’être évité, chacun des raflés raconte ses angoisses. Le lendemain 8 août 1944, Trégunc est libéré… Les soldats allemands se sont repliés à Concarneau.
Il faut rendre hommage au résistant Yves Berth, l’homme du cinquième fusil-mitrailleur, qui a gardé son poste le plus longtemps possible pour que ses camarades résistants puissent se replier. Il sera décoré de la Croix de guerre à titre posthume. Remercions aussi les combattants de la Résistance.
Notes
- Entre 1943 et 1944, quelques milliers de prisonniers soviétiques sont enrôlés de force dans la Wehrmacht. Parmi eux, nombreux sont les déserteurs sur le front de l’Est. Cette situation pousse les Allemands à redéployer les unités composées de Soviétiques sur le front de l’Ouest, certains d’entre eux parviennent à s’évader et à rejoindre le maquis (d’après Anastasia Pavlova). Les soldats russes tués à Trégunc appartenaient à l’OST-BTL 634 (Bataillon des troupes de l’est). ↩︎
Sources
– L’aigle sur la mer, tome III, Michel Guéguen, Louis Pierre Le Maître – 1988
– Le témoignage de Lucien Droalen (résistant ayant participé à l’attaque de Kernaourlan) rapporté par Albert Philippot dans la revue Ami entends-tu ? n° 93 de l’ANACR (polejeanmoulin.com)
– Archives départementales 29, fonds Alain Le Grand (cote 208 J)
– Anastasia Pavlova. Les Russes et les Soviétiques en France durant la Seconde Guerre mondiale : entre collaboration et résistance, Histoire, 2015
– Le livre d’or de la Résistance (photo d’Yves Berthe)
– Nizon, histoire d’une paroisse rurale, tome 2, Bertrand Quéinec, 1993



