Salut Sainte-Élisabeth

Salut Sainte-Élisabeth
Salut Sainte-Élisabeth (Trégunc)

Lʼautomobiliste, quittant le bourg de Trégunc pour se rendre à la Pointe de Trévignon, emprunte la route départementale n°1. Il aperçoit un premier panneau indiquant le nom
du lieu-dit, Toull-Karr Furig puis, trois cents mètres plus loin un second panneau l’informant qu’il arrive à Salut Ste Élisabeth, Salut Sz Elisabed (Salud-Santez-Elisabed en breton, prononcer Zalud). De l’autre côté de la route, il peut remarquer une modeste croix chrétienne monolithe datant du haut Moyen Âge, érigée sur un rocher granitique.

Que signifie donc ce Salud Santez Elisabeth ? S’agit-il d’une ancienne dévotion à la chapelle Sainte-Élisabeth située à 750 m de là à vol d’oiseau et à peine visible de la route ?
Une recherche dans nos dictionnaires nous rappelle que, pour l’Église, le salut est le fait d’être délivré de l’état de péché et de souffrance et d’échapper à la damnation, ou, autre expres­sion, de vivre de manière à mériter le bonheur éternel. Ainsi, l’homme pouvait-il craindre pour son salut éternel ou compromettre son salut éternel. Les théories du salut occupent une place importante dans de nombreuses religions et sont sources de débats (Wikipédia).

Les anciens registres

La carte IGN actuelle ne fait pas référence à Sainte-Élisabeth sur cette route : Sainte-Élisabeth et Salut sont deux lieux-dits bien distincts. Les anciennes cartes Cassini (1740) et d’État-major (1865) ignorent totalement le lieu Salut. Cependant Sainte-Élisabeth et sa chapelle y figurent comme point de repère. Le cadastre napoléonien de 1845 ignore également le lieu-dit Salut pour la simple raison que ne s’y trouve aucune bâtisse, aucune habitation, ce n’est donc pas encore un village. La croix ancienne n’est pas indiquée sur ce cadastre alors que l’est celle qui se trouve à 100 mètres de là, à l’entrée du chemin menant à la ferme de Kerispern. Malgré tout, les noms des parcelles indiquées sur le dit-cadastre comportent le mot breton orthographié ainsi : croissious, ( kroazioù étant le pluriel de kroaz=croix en breton), certainement en référence à au moins deux croix.

Le Courrier du Finistère du 19 août 1933
Le Courrier du Finistère du 19 août 1933

Lors du dénombrement de la population de 1886, le village de Salut Sainte-Elisabeth est mentionné et compte trois familles, mais le village de Sainte-Élisabeth n’est nullement mentionné. Ensuite, dans les dénombrements réalisés de 1891 à 1911, les deux villages sont mentionnés, l’un Sainte-Élisabeth (une fois sous la dénomination Chapel nevez 1 en 1891, une fois Chapelle neuve en 1906) 1, l’autre régulièrement Salut-Sainte-Élisabeth. Dans la période de l’entre-deux guerres, le village s’appelle Salut tout court et compte quatre foyers soit douze habitants (1936).

Le Courrier du Finistère daté du 19 août 1933 relate un incendie qui s’est déclaré dans un terrain de landes bordant la route du bourg à la Pointe de Trévignon et menaçant une habitation du Salut (voir l’article ci-contre)…
Il y a quelques années, avant la réfection de la route départementale, le panneau indicateur différait du panneau actuel et ne comportait que le nom Salut !

L'ancien panneau Salut, remplacé plusieurs fois à la suite de quelques larcins.
L’ancien panneau Salut, remplacé plusieurs fois à la suite de quelques larcins.
Alors, la croix du Salut ?

Cette dénomination existe en plusieurs communes breton­nes, à Henvic par exemple où cette croix doit son nom à la coutume qui voulait que lors du pèlerinage du Tro Breizh, les pèlerins se signaient et priaient quand ils apercevaient pour la première fois une nouvelle église consacrée à l’un des sept saints fondateurs, ici celle de Saint-Pol-de-Léon. Une croix était érigée à cet endroit (Wikipédia).

Dans Les cahiers de l’Iroise, Jacques Arnol citant le Dictionnaire des noms de lieux bretons d’Albert Deshayes donne une explication similaire concernant Salud (Salut) : Outre son acception religieuse dans Groas-ar-Salud en Plouegat-Moysan (29), dans Salut-ar-Verhez en Plougasnou (29), désignerait le lieu élevé d’où l’on apercevait le clocher de sa paroisse, ce qui semble exact pour Mané-Salud en Camors (56)… Le terme se note Zalud dans Goarem-Zalud en Landeleau (29) et dans Place-ar-Zalut en Pont de Buis-les-Quimerc’h ou encore dans Zalut en Querrien (29).

Le volume 2, Galerie bretonne ou Vie des Bretons de l’Armo­rique, publié en 1836, présente une série de dessins d’Olivier Stanislas Perrin évoquant des scènes de la vie quotidienne de Corentin, paysan du village de Kerfeunteun proche de Quimper. Le journaliste Alexandre Bouët complète cette fresque historique par un récit détaillant la vie du personnage principal et les coutumes du XIXe siècle.

Ainsi y retrouvons-nous un article consacré à la croix du Salut, Kroas ar salut. On était dans cette riante saison, où il y a autant de fêtes patronales que de dimanches et même davantage, en sorte que la dévotion et le plaisir n’ont que l’embarras du choix. Corentin qui attendait avec impatience le pardon de sa paroisse pour s’y trouver avec Marie et savoir s’il devait renoncer à elle, avait quitté la ferme avant l’aube du jour, et, solitaire au milieu de la foule des pèlerins, le voilà qui vient d’arriver à la croix du salut. C’est ainsi qu’on appelle la croix érigée sur les lieux d’où commence à s’apercevoir la flèche de l’église patronale. Les pèlerins y fléchissent le genou et saluent d’une prière le premier aspect de la pyramide sacrée. Cette espèce d’avant-poste du pardon indique l’origine analogue du nom que portent souvent les collines qui environnent et dérobent aux regards nos églises. Dès que le laboureur de la vallée gravissant ces collines peut voir son clocher, il s’agenouille et prie ; de là leur nom de Menez ar Zalut.

Alors, peut-on imaginer la marche des pratiquants allant de Trévignon au bourg sur ce chemin étroit, tortueux, mal entre­tenu, tantôt boueux, tantôt poussiéreux selon les saisons ; ayant salué la croix de Parc cheminal puis celle de Groëstianou (graphie du cadastre de 1845), ils franchissent le ruisseau Dour Ruat, instant de fraîcheur en été, empruntent la longue côte du Salut au bord de laquelle quelques arbres chétifs peinent à offrir leur ombre aux voyageurs qui, ayant laissé à mi-pente sur leur gauche la ferme de Kerangwenn, arrivent au sommet, à la croix du Salut, d’où ils aperçoivent le clocher de l’église paroissiale et peut-être aussi celui de la chapelle de Sainte-Élisabeth, y font une courte pause, un genou à terre, le temps d’une prière dévote pour le salut de leur âme, promettent de suivre la parole divine puis se signent avant de poursuivre sereinement leur route, sous la protection de la sainte ou du tout puissant.

Autrefois, ce rituel catholique s’accomplissait probablement en cet endroit, de la même manière qu’il se pratiquait en de nombreux autres lieux en Bretagne. Les chemins importants étaient balisés par des croix, ce qui pourrait expliquer leur présence le long de celui qui menait du bourg à Trévignon, plusieurs d’entre elles ont disparu.

Note

  1. Chapelle Neuve, parce que la plus récente des chapelles de Trégunc, datant du XVIIIe siècle ↩︎

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2 commentaires

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  1. Bonjour,
    Je me souviens que mon père, originaire du Paradis, prononçait toujours “Zalute”.
    Il y a plus d’une 20aine d’années lorsque je travaillais au service des Routes Départementales à Pont-Aven, on avait ral bol surtout l’été de constater que le panneau “Salut” sur le RD1 disparaissait. Avec mon collègue Alain nous avons pensé que si l’on ajoutait Sainte-Elisabeth à Salut on avait peut-être plus de chance de conserver “notre” panneau. Cela s’est fait avec l’autorisation de Jean Lozac’h conseiller général à l’époque. Depuis longtemps j’ai quitté ce service mais lorsque je passe sur cette route, je vérifie à chaque fois la présence de ce panneau. Notre idée n’était peut-être pas trop mauvaise.
    Cordialement,
    Paul

  2. Merci Roland, cela fait tellement longtemps que ce panneau routier m’intriguait!