Le cimetière de bateaux de Pouldohan

Raymond Nivez, natif de Croas-Voaler (entre Lambell et Pont-Minaouet), fils de marin et patron-pêcheur sur des chalutiers et thoniers océaniques concarnois, est passionné par la peinture marine depuis le plus jeune âge. Adolescent dans les années 1955, il croque les épaves de dundées gisant dans l’anse de Pouldohan. Raymond nous livre avec moult détails la position de ces bateaux.
Dès que l’école était finie, nous les gars de Lambell, Croas-Voaler, Kerbiquet, Pont-Prenn… nous nous retrouvions au cimetière des bateaux ; c’était notre aire de jeux.
Raymond Nivez
Je me souviens du premier bateau qui a été amené et échoué sur béquilles, le Ma Salver (Mon Sauveur). Il était en piteux état, beaucoup de bordées avaient été arrachées. Ensuite, le dundée motorisé Lustania à bord duquel l’agent Daniel Lamenech de Pont-Aven rejoignit les Forces françaises libres. La passerelle du Lustania était déposée à Allée Vraz chez Roger Dizet, il y mettait son matériel de pêche.
Plusieurs bateaux étaient en bon état car ils ne naviguaient que durant la saison du thon, de mai à octobre. Certains ne prenaient pas une goutte d’eau. Hélas, ni respect, ni mémoire maritime à cette époque, tous ont été démantelés et incendiés !
Quand on pense aux centaines de thoniers qui fréquentaient le port de Concarneau, pas un seul n’a été conservé comme témoin. C’est grâce aux Anglais qui ont armé le thonier groisillon Biche à la plaisance, qu’aujourd’hui, nous possédons un rescapé, merci les Anglais !
Dans les années 1980, grâce au Chasse-Marée, on a pu reconstruire des bateaux de travail, combien de grillades de merguez et de chants de marins aura-t-il fallu pour lancer tout cela, alors que pour acheter l’un de ces vieux bateaux il aurait suffi de payer une somme dérisoire, le prix du remorquage de Concarneau à Pouldohan ! Je crois que cela coûtait cinquante francs dans les années 1950 (sept euros cinquante aujourd’hui).
Après la guerre, concernant la saison du hareng à Boulogne, la flottille de pêche ayant été décimée, on a sollicité les Bretons. La France avait besoin de nourriture. Vers-le-devoir était immatriculé CC2891, un bateau de vingt-et-un mètres soixante, moteur de cent soixante chevaux, construit au chantier Donnart, patron Jean-Marie Sellin ; mon père Arthur Nivez, bosco à bord, racontait ses souvenirs : « Par un hiver glacial, le chalut gelait dès qu’il était remonté. On portait des tenues en laine blanche super épaisses, venues d’Angleterre sans doute. Une nuit, on a rempli le bateau avec quarante-huit tonnes de harengs, dans un si petit bateau ! la cloison entre la cale et la machine avait été déformée. » L’armement Talleux gérait ces bateaux à Gravelines. Cette campagne fut une réussite.
Les épaves de bateaux dans l’anse de Pouldohan
Côté est (planche 1)

• Ma Salver, Lusitania, Gars de Kerlin et Chardon-de-Lorraine, Santanna ou Santez-Anna ;
• Valentine-Aimée, dundée blanc, liston vert ;
• Rose de Sainte Thérèse, bleu roi ;
• T’en-Fais-Pas, dundée gris, liston rouge en 1954 ;
• Avenir de famille, bleu foncé, liston jaune, dernier dundée à avoir pratiqué la pêche au germon en 1954 ou 1955 ;
• Bonne-Anse, le seul bateau en acier, immatriculé à La Rochelle, il avait pêché le thon à Concarneau ; à Pouldohan, il possédait encore ses tangons.
• Le dernier bateau envoyé à Pouldohan est l’Immaculée-Conception, splendide chalutier en bois de vingt-huit mètres, de forme élancée pour l’époque, construit en 1947 à Saint-Malo. Il n’aura navigué que deux ans à cause d’un moteur trop faible et de problèmes entre les actionnaires, puis il a passé des années au pied de la Ville close, rebaptisé Aven. Quelque temps après son arrivée à Pouldohan, le chalutier a été incendié volontairement. Triste fin pour ce bateau qui avait vingt ans d’avance au niveau confort.
Côté ouest (planche 2)

• Va-Sans-Peur dundée motorisé, particularité de ce thonier, un cul pointu après le désastre de 1930 (207 disparus en mer). Les naufrages furent imputés aux tableaux arrière des dundées. Ceci n’a pas été prouvé ; il y a eu beaucoup de voies d’eau dues aux structures arrière, précisément ou passe la mèche du gouvernail selon la technique employée par le chantier. Or, Camaret n’a pas eu de naufrage à déplorer alors que leurs dundées avaient une voute arrière beaucoup plus allongée 1.
• Reine-de-l’Océan (CC2000) bateau blanc, liston bleu roi ;
• Grave-Bihan petit chalutier bleu ;
• Marie-Georgette dundée motorisé blanc ;
• Paotred-Étel en état d’épave ;
• Salvatore-Rosa dundée vert, moustache blanche ; on le voit souvent en photo quittant Concarneau ;
• Un dundée vert, motorisé, construit au chantier Union et Travail aux Sables d’Olonne ;
• Un autre dundée, CC1007, construit sans doute dans le nord, étrave droite, couleurs rouge, orange et noir.
Et d’autres épaves…
Devant Portz Allen reposait le Malgré-Tout, bateau noir, passerelle blanche. Dans le chenal près du banc de sable, le dundée vert motorisé Fends-la-brise faisait la pêche à la sardine au Maroc puis le transport. Échoué lors du convoyage avant d’arriver à destination, il fut une gêne pour la navigation pendant des années, finalement il a été dynamité et incendié.
Du côté de la chaumière d’Osérée à Ster-Greich, un ancien sablier était échoué sur les roches. Au goulet du bras de mer du Minaouët, côté Pouldu à Portz Bleiz (Pouldu signifie trou noir et Portz Bleiz port du loup), les dundées :
• Georges-Raymond II, patron Hervé, construit à Camaret ;
• Pluie-de-Roses, Oiseau-des-mers, Marie-Édit ;
• un ancien caboteur, le Pax-Christi qui amenait le sel de Noirmoutier ;
• Plus tard, le Marcelle-Yveline, chalutier-thonier à l’appât vivant. C’est le premier thonier concarnois à avoir participé à l’aventure thonière de Dakar en 1955.