Inauguration du canot de sauvetage

À la fin du XIXe siècle, la construction de la digue à la Pointe de Trévignon a permis la création d’un port abrité pour les bateaux de pêche de la région. Dès l’origine, la Société centrale de sauvetage des naufragés1 a envisagé d’y établir une station de sauvetage pour la baie de Concarneau.

En 1906, sur les plans de M. Willemin, ingénieur des Ponts et Chaussées, l’abri du canot et la cale2 sont réalisés par l’entreprise Bonduelle de Concarneau. Cette cale en béton armé, avec rail, mesure quarante-cinq mètres de long et quatre de large avec des piliers distants de 6,50 mètres. Le coût total s’élève à 22`000 F.

Le financement du bateau de sauvetage pose problème. Le leg d’un généreux donateur, Ernest Crevat-Durant3, permet d’acquérir un canot de 8,50 mètres à dix avirons. D’une valeur de 15 000 F, il est construit dans les ateliers Augustin Normand du Havre.

Dans le quatrième fascicule de 1910 des Annales du sauvetage maritime, il est précisé que ce canot est « en acier galvanisé4, insubmersible et à évacuation automatique, à dérive de 8,50 m ». L’équipage est constitué de vingt-deux hommes (deux équipes de onze), dont le patron Rioual et le sous-patron Morvan ont été élus par leurs camarades, selon la tradition. Pendant plusieurs mois, des essais réglementaires sont réalisés.

Le dimanche 8 septembre 1907, sous un soleil de plomb, le canot de sauvetage Ernest Crevat-Durant est inauguré. Pavoisé, il est placé au milieu de la cale.

Les parrains sont monsieur Ricard et madame Guyou, les exécuteurs testamentaires du donateur Ernest Crevat-Durant auxquels avait été donné le soin de faire respecter ses dernières volontés.

De nombreuses personnalités assistent à la cérémonie dont : monsieur James de Kerjégu, député, président du Conseil général et président de la cérémonie, monsieur Henri Ponthier de Chamaillard, sénateur et ancien maire de Trégunc, monsieur Marc Quentel, maire de Trégunc et président du comité local, monsieur de Lepinay, inspecteur des stations de sauvetage, monsieur Bouteiller, administrateur de la Marine, le vice-amiral Duperré, président de la Société centrale, le conseil municipal de Trégunc, les membres du Comité local et l’équipage du canot.

Le recteur Yves Grall de Trégunc bénit le canot en y faisant deux fois le tour. Il monte sur l’embarcation avec les parrains ; l’équipage se tient debout, les avirons dressés. Des salves d’artillerie sont tirées sous les applaudissements de la foule. Madame Guyou et monsieur Ricard distribuent les dragées du baptême du canot aux enfants et aux parents.

Un banquet de quatre-vingts personnes est organisé sous une tente dressée dans la cour de la conserverie Rio-Le Gall. La préparation du repas a été confiée à madame Plouzennec de l’hôtel du Commerce de Concarneau. Le menu est très copieux.

Au champagne, plusieurs discours sont prononcés dont voici quelques extraits :
• Monsieur de Kerjégu : « la station une fois organisée, son fonctionnement se trouve dès à présent assuré dans les conditions les meilleures et les plus efficaces, nul n’ignore qu’on le doit à la vaillance, à l’esprit de solidarité en présence du danger qui n’ont cessé d’animer les habitants de nos côtes, sentiments qui les poussent à ne reculer devant aucun sacrifice, fût-ce celui de leur existence pour porter secours à des camarades en péril. »

• Monsieur Quentel : « Au nom de tous, j’adresse à la famille de monsieur Crevat-Durant nos plus sincères remerciements pour le don superbe à la Société de sauvetage des naufragés et qui a permis à cette société de nous doter de ce merveilleux bateau. »

• Monsieur de Lépinay : « Le marin breton, parmi ses grandes qualités, possède un sentiment d’altruisme très développé et un dévouement sans bornes. »

• Monsieur Bouteillier parlant de M. Ernest Crevat-DurantL : « Permettez moi de vous dire quel fut le but, de cette vie, de ce philanthrope, discret entre tous, mort, oublié, inconnu comme tant d’autres. Ayant enduré lui-même de toutes les souffrances physiques et morales qu’il est donné à un homme de supporter, il a tenu durant sa vie, à soulager les infortunés, les déshérités de cette terre. Son mot était : sauvons les enfants. Et grâce à lui, des œuvres de bienfaisance se sont fondées en divers points. Je n’en retiendrai qu’une, celle des Enfants de Fontainebleau… Devant la mémoire de cet homme, je m’incline avec un infini respect », parlant du canot rentrant au port, les soirs de tempête « aux passants, aux touristes nous questionnant quels sont ces hommes ? nous pourrons répondre sauf votre respect : marins de Trévignon. »

Ensuite Auguste Shang, récite un poème de Jean Richepin : « M. Auguste Shang, élève du Conservatoire, fils de l’aimable notaire de Trégunc, se lève alors et dit d’une voix vibrante, aux tonalités d’une variété infinie, les Trois matelots de Groix, de Richepin. Tantôt d’une joviale indifférence, tantôt d’une désolation déchirante, M. Auguste Shang a fait une impression considérable sur son auditoire qui, complètement empoigné, l’a applaudi à tout rompre » (journal L’Union Agricole et Maritime).

Puis les convives se rendent au port, le canot est mis à l’eau et monsieur de Kerjégu monte à bord pour une courte promenade en mer. Monsieur Ricard et madame Guyou remettent une somme de 100 francs de participation à la mise en place d’une société de secours mutuels d’assurances pour les bateaux de pêche. La journée se termine, les matelots s’associent aux paysans pour danser de joyeuses gavottes.

Pour mémoire :
Le premier comité local de Trévignon des stations de canot de sauvetage, créé en 1906, était composé de :
• Quentel Marc, maire de Trégunc, président
• Guillou Jean, instituteur adjoint, secrétaire
• Shang Auguste, notaire à Trégunc, trésorier
• Druhais, syndic des gens de mer
• Furic, marin pêcheur
• De Goulherze, conducteur des Ponts et Chaussées
• Rio, propriétaire
• Recto, premier maître de manoeuvre à Lanriec
• Richard Laurent, cultivateur
• Rioual Jean-Marie, patron du canot de sauvetage
• Morvan Pierre, sous-patron du canot de sauvetage

Le canot Ernest Crevat-Durant sera remplacé en 1931 par le canot Jacques-Augustin Normand, canot en bois de 8,50 m et dix avirons, puis en 1947 par le Duguay Trouin, de 13 m, à deux moteurs de 40 CV, doté d’une radio.

À lire :

• Le livret rédigé par Roger Tanguy à l’occasion du centenaire de la station de sauvetage de Trévignon, Cent ans de sauvetage 1906 – 2006, Des bateaux et des hommes, Un port.

Notes

1 Société créée en 1865, elle fusionne avec les Hospitaliers-Sauveteurs Bretons en 1967 pour devenir la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM).
2 Lors des marées à fort coefficient il manque cinq mètres à cette cale. Le canot doit être descendu et monté par un treuil à main.
3 Un leg de 120L000 F avait été effectué par testament olographe du 14 février 1899 à la société Centrale de sauvetage des naufragés (information Gallica).
4 Dans les Annales suivantes, il est bien précisé que ce canot est en acier.

Sources

• Le journal L’Union Agricole et Maritime, organe républicain de la région du Nord-Ouest du 11 septembre 1907, article de Louis Beau-frère
• Les Annales du sauvetage maritime, 1910 et années suivantes

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