Il faut sauver le Lieutenant Hawkins

William C. Hawkins
William C. Hawkins

Il s’appelait William C. Hawkins, Bill pour les intimes. Jeune pilote de l’armée américaine, âgé de 21ans, il participait à sa deuxième mission seulement lorsque son avion fut sérieusement touché au cours d’un bombardement sur Bordeaux. Alors qu’il retourne à sa base et qu’il s’apprête à franchir la Manche, il s’aperçoit que son réservoir est quasiment vide, vraisemblablement percé. Il décide alors d’abandonner l’avion et de sauter en parachute à proximité de Brest. Nous sommes le 21 mars 1944.

Rien ne destinait Hawkins à arriver à Trégunc quelque deux mois plus tard. La raison est sûrement la suspension des opérations d’exfiltration de pilotes alliés entre fin mars et juillet 1944, à l’approche et au moment du débarquement, tandis que la surveillance du littoral s’est accrue.

Vers le 20 mai, Georges Martin, l’infatigable chef du mouvement de résistants Thurma-Vengeance de Concarneau, se présenta à Brest accompagné d’un autre pilote, Joseph Lilly, tombé à Trégunc, qu’il comptait rapatrier en Angleterre. L’opération fut annulée et, compte tenu de menaces de dénonciation à Brest, Georges Martin regagna le bois de Saint-Georges, quelques jours plus tard, accompagné d’un second aviateur américain, William Hawkins,  au cours d’un voyage mouvementé digne d’un film d’action. En effet, au niveau d’Hanvec, le train subit le feu de l’aviation britannique au cours d’une attaque qui, selon Lilly, fit un mort et neuf blessés. Hawkins voyageait sous une fausse identité, un nom bien de chez nous : Jean Le Gall, censé être sourd et muet pour éviter toute question embarrassante.

Mais ce n’est pas tout, car l’arrivée à Trégunc, en passant par Rosporden, ne pouvait tomber plus mal : le 23 mai 1944, jour de la grande rafle qui vit le bourg totalement encerclé et les fermes fouillées de fond en comble.

La ferme de Keramborgne n’échappa pas à la fouille dans la matinée, ce qui n’empêcha pas nos deux aviateurs de s’installer à proximité en compagnie des résistants.

Leurs noms figurent dans les notes qu’il a laissées, les frères Gloaguen, Loïc Le Floch, mais encore José, Marcel, André et les autres. Pendant un mois, Hawkins partagera leur vie, dormant sous la tente ou dans les bois, au gré des fréquents déménagements, participant à l’occasion, comme sentinelle, aux opérations de sabotage de câbles électriques ou téléphoniques.

1944 : résistants et pilotes dans la ferme Girard à Keramborn ; de gauche à droite, le capitaine Georges Martin, Fine Rouat, Joe Lilly, Louise Girard, Bill Hawkins et Yvonne Girard
1944 : résistants et pilotes dans la ferme Girard à Keramborgne ; de gauche à droite, le capitaine Georges Martin, Fine Rouat, Joe Lilly, Louise Girard, Bill Hawkins et Yvonne Girard

Assez souvent, il rend visite à la ferme de Jules Girard, toute proche. Sa fille, Yvonne, s’est souvenue de ce grand jeune homme « blond comme les blés et plein de taches de rousseur » qui ne dédaignait pas leur compagnie. Il est en admiration devant les attentions prodiguées au chef de famille par les femmes de la maison. Lui-même se dit en rigolant que, une fois rentré chez lui en Alabama, c’est comme ça qu’il devra éduquer sa jeune épouse qu’il n’a pas encore eu le temps de vraiment côtoyer. À la ferme, il découvre les crêpes suzette et il s’étrangle lorsqu’on lui fait goûter l’eau de vie de cidre. Début juin, justement, l’annonce du débarquement est fêtée un peu trop bien. Le 25 juin, il est à Kerguerizit lorsqu’a lieu la fusillade sanglante qui se termine par la mort de Georges Beaujean et d’Alfred Le Ray. Georges Martin a juste eu le temps de l’entraîner à l’écart et de le mettre à l’abri. Impossible, dès lors, de rester plus longtemps dans les parages. Après une nuit passée dans un champ sous une pluie battante, Hawkins se présente à l’aube dans une ferme voisine pour se sécher. Il trouve ensuite refuge chez le pharmacien Gildas Tréhin et son épouse. Le soir, c’est Marguerite Yan qui vient en voisine pour écouter ensemble Radio-Londres, tous attentifs à l’évolution des combats sur le front de Normandie. Il y retrouve aussi Geneviève Le Bourhis, la fille du directeur d’école et grand résistant Jean Le Bourhis, qu’il avait déjà croisée lors de son séjour à Brest.

Juin 1944 : Madame Tréhin, Bill Hawkins et Madame Yan
Juin 1944 : Madame Tréhin, Bill Hawkins et Madame Yan

Le 30 juin, il est à Concarneau, hébergé, semble-t-il, chez un autre pharmacien, Pierre Grall, aux premières loges pour être le témoin du bombardement de plusieurs bateaux allemands dans le port. Son œil de pilote reconnaît « une trentaine de Mosquitoes et de Beaufighters » participant à ce raid qui fera quelque 150 morts.

Jusqu’au bout règnera la plus grande incertitude concernant son rapatriement. Un premier transfert est évoqué pour le 12 juin mais le débarquement en Normandie vient contrecarrer le projet. Fin juin, il est encore question de gagner Paris puis d’être conduit jusqu’à la frontière espagnole. Hawkins s’entraîne à la marche en sachant que la route sera longue.

Enfin, début juillet, un autre protecteur fait son apparition, Pierre Dréau de Lesconil, un résistant aguerri en lien avec les autorités anglaises et l’organisation nationale. Celui-ci annonce que le départ est imminent. Le 10 juillet, les voilà partis à bicyclette à travers le Finistère pour ce qui sera, aux dires de Hawkins, un vrai calvaire, lui qui, depuis plusieurs mois, vit terré. Après une nuit passée chez un habitant, ami de la Résistance, l’aviateur et ses deux compagnons arrivent à Plouha, Côtes d’Armor, le point d’ancrage du réseau Shelborne qui, depuis  le mois de janvier, organise l’exfiltration des aviateurs alliés tombés en France. Le 13 juillet au matin, Hawkins est à Dartmouth, prêt à répondre à l’interrogatoire des services de renseignement britanniques.

Bill Hawkins est revenu à Trégunc à deux reprises en 1973 et 1987 pour exprimer sa reconnaissance sans borne à tous ceux qui l’ont aidé et pris en charge pendant ces mois de mai et juin 1944, sûrement la période la plus intense de sa vie. Pendant quelque soixante ans, il a maintenu une correspondance régulière avec ses sauveteurs.

Sources

– Guéguen, Michel et Louis-Pierre Le Maître, L’aigle sur la mer. Concarneau 1939-45, Concarneau, édité par les auteurs, 1987, tome II.
– Lasseter, Don. Their Deeds of Valor, Philadelphie, éd.  XLibris, 2002.
– Maguer, Cyrille. De Rosporden à Concarneau sous l’Occupation, Le Faouët, Liv’ Ed, 2014.
– Richards, Brooks, Flotilles secrètes : les liaisons maritimes secrètes en France et en Afrique du Nord 1940-1944, éd. Marcel-Didier Vrac, Le Touvet, Isère, 2001

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