Ils ne sont pas revenus
Passionné d’histoire et de généalogie, Érick Nédélec mesure les bouleversements que la Première guerre mondiale a provoqués dans le monde et plus particulièrement dans nos villages bretons qui ont subi de plein fouet les conséquences de ces terribles années. Pour rendre hommage aux 250 soldats et marins tréguncois tombés lors du conflit et participer au devoir de mémoire, il a retracé le plus fidèlement possible leur parcours militaire et les circonstances de leur mort ; Erick a consacré beaucoup de temps et d’énergie pour faire aboutir ce travail remarquable. Nous publions ici quelques extraits de ce volumineux dossier de plus de 600 pages.
Yves BOURHIS 36 ans, 2e Régiment d’Infanterie Coloniale

Yves Bourhis connaîtra les terribles combats de l’année 1915 au sein du 2e RIC de Brest, ce régiment de choc qui a été reconstitué plus de dix fois va perdre plus de vingt mille hommes pendant la Grande Guerre, il sera de tous les combats et particulièrement les plus meurtriers ; beaucoup de Tréguncois perdront la vie ou seront blessés dans ses rangs, des pères de famille déjà relativement âgés pour la plupart. Inscrit maritime n° 3957 CC du 27 septembre 1898 (venu des provisoires n° 3127), ce professionnel de la mer avait fait son service militaire à l’atelier central de la Marine à Brest entre le 11 août 1899 et le 11 août 1900. En tant qu’orphelin et vraisemblablement soutien de famille, il avait été dispensé de deux années de service au titre de la loi du 24 janvier 1896 et était retourné à la petite pêche sur le Marengo.
À la suite de la décision de l’autorité militaire de reverser les inscrits maritimes pratiquant la petite pêche, des classes 1892 à 1903, dans l’infanterie coloniale, ces vieux marins vont servir à combler les rangs des RIC déjà bien décimés début 1915, on peut véritablement parler de chair à canon et le terme n’est pas trop fort car plusieurs témoignages signalent des demandes de lunettes de vue non honorées dans les temps, un manque d’exercice au tir, etc. Ces hommes, qui auraient pu être relativement préservés s’ils étaient restés dans la Marine ou affectés comme « pépères » dans des régiments territoriaux, se sont ainsi retrouvés dans des régiments de choc aux taux de survie très faibles. Appelé par le 3e dépôt de Lorient le 7 août 1914, Yves est finalement libéré le 13 août faute d’emploi et réembarque immédiatement sur la Jeune Camille à Concarneau jusqu’au 18 novembre 1914. C’est le 24 mars 1915 qu’Yves rejoindra son unité, au dépôt de Brest dans un premier temps, puis ce sera le front dans le secteur de Servon (51).
Le 2e RIC a participé à la bataille de Rossignol en Belgique où la 3e division d’infanterie coloniale sera massacrée et où il perdra les trois quarts de ses effectifs. Il sera reconstitué une première fois à l’issue de ce combat pour participer à la bataille de la Marne ; puis ce sera l’Argonne à partir de novembre 1914 et le fameux bois de la Gruerie où Français et Allemands vont se rendre coup pour coup. Cette période est marquée par l’attaque du bois Baurain le 14 juillet 1915 ; une attaque inutile et suicidaire qui décime une fois de plus le 2e RIC, c’est le fameux “grignotage” du général Joffre ! Yves survit à cette attaque.
Le 14 août, le régiment est relevé et vient se reconstituer à la Neuville-au-Pont dans la Marne. Le 15 août, tout le régiment est transporté au repos à Cheppy (Meuse) en camions automobiles. Il quitte Cheppy le 27 et se rend à La Cheppe dans le canton de Suippes-en-Champagne. Il est employé jusqu’au 16 septembre à faire quelques travaux d’aménagement aux tranchées de première ligne et aux boyaux de communication. En ce début septembre, le régiment participe aux travaux de préparation de la “grande offensive” dans le secteur de Suippes/moulin de Souain. Les hommes ont touché leur nouveau casque Adrian mais les bombardements allemands sont continuels ; le soldat de 2e classe Yves Bourhis de la 3e compagnie est touché dans un de ces bombardements, vraisemblablement par un éclat d’obus, et décède de ses blessures le 16 septembre à 15 h 30 à l’ambulance 1/22 à Suippes. Il sera inhumé à la nécropole nationale Suippes-Ville (51), tombe n° 2110. C’est le premier tué tréguncois de cette terrible offensive de Champagne qui verra périr tant de nos compatriotes, Auguste Morvan tombera le lendemain.
Né à Trégunc le 2 août 1879, Yves, cheveux bruns, yeux gris, 1,67 m était le fils de feu Yves Bourhis, cultivateur à Keranouat (graphie de 1881), et de feue Marie Clémentine Bourhis. Au recensement de 1881, Yves vivait à Kernouat avec ses parents cultivateurs, son grand-père Yves, sa sœur nouveau-né Marie Yvonne, son oncle Marc, une autre parente et une domestique. En 1897, la famille s’est agrandie, Yves a alors deux sœurs, Marie Yvonne et Marie Yvonne Annette Caroline ainsi que deux frères Jean Marie et Marc.
Au décès de ses parents, sa sœur Marie Yvonne (mariée avec René Rioual) garde la ferme et Yves travaille alors comme maçon. Avec sa part d’héritage, il achète un champ à Kermao et y bâtit une maison après son mariage le 1er juin 1904 avec Perrine Michelet, cultivatrice née en 1885. Il aura trois enfants : Yves, Joseph et Marie qui seront pupilles de la Nation. Sa veuve bénéficiera d’un mandat sur la caisse des prises de guerre en 1926.
Louis DOLLIOU 20 ans, 7e Régiment de Marche de Zouaves

Soldat de la classe 1915 et incorporé le 16 décembre 1914 au 4e régiment de zouaves, Louis Dolliou rejoint d’abord vraisemblablement le petit dépôt du 5e bataillon, au fort de Rosny-sous-Bois, il est ensuite rapidement reversé au 7e régiment de zouaves (45e DIA, 91e brigade) et part en renfort au front le 14 mai 1915 dans le secteur de Nieuport en Belgique.
La 45e division algérienne se trouvait à Langemark dans le Saillant d’Ypres le 22 avril 1915 où elle a subi la première attaque aux gaz de l’histoire, elle va combattre ensuite sur le canal de l’Yser à la hauteur de Boesinghe. Les troupes sont épuisées en ce mois de mai 1915, mais on va encore tenter quelques “opérations de détail” !
On peut relater brièvement les derniers jours de Louis Dolliou en résumant le journal de marche de la 91e brigade d’infanterie : le 29 mai 1915 à 11 h 15 l’ordre est donné d’attaquer le fortin 17 et la tranchée NS 14 sur l’Yser, l’attaque sera appuyée par des mortiers de 58 mm ; les points d’attaque sont masqués par la ligne d’arbres qui bordent le canal.
À 17 heures, le général précise aux troupes que leur mouvement ne doit pas se “borner à une simple démonstration” ! À 19 h 50, tir d’efficacité de l’artillerie qui provoque une violente réaction de l’ennemi et cause déjà de lourdes pertes ; à 20 heures, l’infanterie sort des tranchées sous un feu violent, les rapports de la nuit sont contradictoires et indiquent surtout une grande confusion ; le 30 mai à 4 h 00, une nouvelle attaque est déclenchée par le 1er bataillon qui prend trente mètres de tranchées mais le reste des éléments du 7e, éparpillé sur le terrain, a subi une violente contre-attaque qui l’a chassé des positions conquises, le terrain est complètement dévasté par l’artillerie. Le 31 mai à 2 h 30, on reçoit cependant un nouvel ordre d’attaque qui sera exécuté par les survivants du 1er bataillon sur le fortin 17 et par ceux du 2e bataillon sur la tranchée NS 14 ; les deux colonnes d’assaut sont fauchées par les Minenwerfer, canons-révolvers et mitrailleuses ennemies (17e régiment de réserve de Jäger), l’attaque échoue, une des colonnes est entièrement anéantie et 31 hommes sont tués dont Louis Dolliou de la 3e compagnie. À 5 h 20, le général donne l’ordre de suspendre l’attaque. Ces trois jours coûteront près de cinq cents hommes tués ou blessés au 7e RMZ.
La Grande Guerre de Louis aura duré quinze jours.
Né à Trégunc (Roudouic) le 27 mars 1895, Louis Pierre, châtain aux yeux
bleus, 1,67 m, qui ne savait ni lire ni écrire, cultivateur, célibataire, était le fils de Louis Bonaventure Dolliou né à Nizon (Kersimon) et décédé à Lanriec en 1937, débitant de boissons à Rousplein, et de feue Marie-Philomène Picard née en 1874 à Trégunc (Kerpaul), épousée en 1893 et décédée à Trégunc en septembre 1904. Louis Pierre Laurent a eu quatre sœurs : Catherine, mariée avec Paul Riou en 1921 à Lanriec ; Marie Philomène Cécilia, mariée avec Ferdinand Riou, frère de Paul, en 1923 à Lanriec ; Pascaline Marie Anna née et décédée en 1899 ; Marie-Yvonne née et décédée en 1904 et un frère : Joseph Pierre (*) né en 1896 à Trégunc (Kerlogoden) et marié à Marie-Jeanne Caudan à Lanriec. L’avis de décès de Louis a été envoyé à la mairie de Lanriec, il ne figure pas sur le monument aux morts de cette commune mais bien à Trégunc où il était domicilié au bourg.
Beaucoup de soldats du 7e RMZ tués à Boesinghe et identifiés reposent à la nécropole de Notre-Dame-de-Lorette dans le Pas-de-Calais ; beaucoup reposent aussi encore en terre belge, en effet, de nombreux corps ont été enterrés dans le bois de Boesinghe (parc du Château) qui est resté toute la guerre sous le feu allemand et de nombreux soldats n’ont de ce fait pu être identifiés en 1918…
(*) Joseph, chauffeur d’autos, mobilisé en avril 1915, fera toute la guerre dans l’infanterie aux 65e, 203e et 41e RI. Il combattra en Italie de novembre 1917 à mars 1918 et est titulaire de la médaille italienne dite des efforts de guerre, diplôme n° 18516. Joseph sera aussi cité à l’ordre du régiment (n° 268 du 14 mai 1918) pour sa conduite au feu : « A pris part le 11 mai 1918 à l’attaque d’un centre de résistance muni de mitrailleuses et dont les défenseurs et le matériel sont restés entre nos mains, croix de guerre avec étoile de bronze. »
Joseph JAFFRÉZIC 21 ans, 2e Régiment de Fusiliers-Marins

Inscrit maritime de Concarneau sous le n° 6599 (venu de l’IP n° 5356), Joseph est embarqué depuis le 17 novembre 1913 à la petite pêche sur le Plaisir du Travail immatriculé à Concarneau, c’est son premier embarquement en tant qu’inscrit définitif. Sursitaire le 23 février 1914, il débarque le 1er juin 1914 pour être levé par la Marine le 11 juillet, il intègre le 2e dépôt de Brest. La légende sur son bâchi me laisse penser qu’il a alors été affecté à la Majorité Générale, une unité de soutien de la Marine à Brest ; il va y rester jusqu’au 31 janvier 1915, date de son passage au 2e régiment de fusiliers-marins de la brigade Ronarc’h.
En octobre 1914, les Allemands menacent d’anéantir les défenses belges. La brigade reçoit la mission de quitter Paris pour aller en renfort de l’armée belge. Les fusiliers-marins se battent à Melle les 9, 10 et 11 octobre pour protéger la retraite des troupes belges ayant évacué Anvers. Ensuite, ils décrochent vers Dixmude qu’ils atteignent le 15 octobre après une marche épuisante. Poursuivis par cinquante mille Allemands, ces hommes, habitués à vivre nu-pieds sur le pont de leurs bateaux, fournissent des marches de trente et quarante kilomètres. Le 10 novembre, les défenseurs de Dixmude sont contraints, après d’âpres combats qui se terminent en corps à corps à la baïonnette ou au couteau, d’abandonner la ville en feu et de repasser sur la rive gauche de l’Yser.
Ils s’étaient engagés à tenir la ville pendant quatre jours, mais ils ont tenu trois semaines, face à environ 50 000 Allemands qui ont laissé 10 000 morts et plus de 4000 blessés sur le terrain ; les pertes de la brigade sont aussi énormes, plus de 3000 hommes sont morts ou hors de combat. Fin janvier 1915, la brigade s’installe dans le secteur de la Grande Dune à Nieuport (*). C’est la guerre des tranchées ; bombardements allemands et coups de mains se succèdent, il y a beaucoup de morts par obus. Le samedi 17 avril 1915, les Allemands arrosent le secteur d’obus de 77. Un mitrailleur est tué, c’est peut-être Joseph qui est déclaré mort au Champ d’honneur le 18 avril.
Inhumé primitivement à Nieuport-Ville dans le cimetière autour de l’église (tombe n° 158), le corps de Joseph est déplacé par la suite (29 mai 1922) à Ablain-Saint-Nazaire dans le Pas-de-Calais, à la nécropole nationale de Notre-Dame-de Lorette, tombe n° 7954.
Né à Trégunc le 12 février 1894, Joseph, châtain foncé aux yeux marron, 1,63 m, était le fils d’Yves Jaffrézic, marin-pêcheur (Keriquel), et de Marie-Josèphe Sellin, cultivatrice. Il avait trois sœurs : Marie, Victorine et Louise et deux frères : Yves et Corentin (**). La médaille militaire et la croix de guerre lui seront attribuées à titre posthume le 9 mars 1922.
Anecdote : le 12 avril, le groupement des fusiliers-marins de Nieuport avait reçu la visite du président de la République accompagné du ministre de la Guerre. Bien que cette visite ait conservé son caractère secret habituel, les Allemands envoient un obus inerte de 77 qui porte l’inscription « Bienvenue au président Poincaré » !
(*) À peine distant de cent mètres de la mer du nord cet endroit s’appelle la cuvette, formant un angle entre la Grande Dune et un mamelon bordant la mer, tout le secteur en bordure de mer était parsemé de cadavres (carnets de Michel Daniel/ 1er Zouaves/ Saint-Évarzec).
(**) Corentin né le 10/02/1901, châtain aux yeux gris, 1m76, savait lire et écrire, inscrit maritime n° 7198 du 10/02/1919.




Merci pour votre superbe article. Je suis originaire de la pointe de Trevignon et est très intéressé par l’histoire locale. Je vais régulièrement rendre hommage à nos poilus (secteurs Thiepval notre dame de lorette, Douaumont Verdun). N’oublions pas ces hommes héroïques ! J’ai pas mal de photos .
Rene Rioual is my grandfather. My father Jean Rioual.
Un grand merci pour votre article sur Yves Bourhis. Je suis la petite fille de Joseph Bourhis, et toutes ses informations m'ont beaucoup touchées.
Marie Yvonne et Renee Rioual won’t mes Grand Parent. Mons pere Jean Rioual et mas mere Marie née Peru.
Bonsoir,Merci pour toutes ces informations, Joseph Jaffrézic était le frère de ma grand-mère Louise de Kériquel, j'aurais aimé avoir tous ces renseignements lorsque j'exerçais dans le Nord de La France, j'aurais été lui rendre 1 hommage sur sa tombe, bravo en tout cas pour cette publication qui honore tous ces hommes tombés pour la France
C'est un travail de titan, absolument remarquable, exceptionnel. Toutes mes félicitations et remerciements à Erick Nédelec
Un grand merci pour cet bref mais superbe instant de lecture Très très beau travail