Les bals à Trégunc (années 1950-1970)

Bal à Trégunc

Dans les années 1950, les salles de bal sont nombreuses à Trégunc, on en dénombre quatre au bourg et une à Saint Philibert. Dans les années 1960, tout évolue, les salles de bal sont concurrencées par les dancings, cabarets, boîtes de nuit, que l’on trouve surtout aux alentours de Trégunc.

Les salles de bal des années 1950

  • La salle de Francine Lavaux (André Bosque), route de Pont-Aven ;
  • la salle d’Yvon Marrec, route de Concarneau : accordéoniste, il accompagnait les mariés de l’église vers sa salle de noce. Yvon Marrec décède en 1961 et l’activité cesse (se reporter à l’article de Robert Sellin, Ma Bro n°15) ;
  • la salle de Robert Kerangall, route de Concarneau : elle assurait le repas et le bal de noce ; le bal était parfois donné dans la salle Drouglazet, route de Saint-Philibert.
Les principaux dancing fréquentés par les jeunes de Trégunc

Dès 1960, quelques jeunes possédent ou empruntent les voitures de leurs parents pour se rendre à :

  • Ty-Ru à Nevez, salle à l’étage ;
  • La Clé des Champs à Cadol en Melgven, un grand parking une salle au rez-de-chaussée. Ce dancing a fonctionné de 1968 à 2009, salle de 650 personnes ;
  • Le Tourbillon à Moëlan-sur-Mer, salle au rez-de-chaussée ;
  • Toul-Diweon à Tourch ;
  • La Croix-Lanveur à Kernével, entre Rosporden et Bannalec de 1950 à 1965 ;
  • Chez pépé à Bannalec, près de la gare, salle à l’étage.
Les dancings et cabarets de Trégunc et Concarneau :

  • le cabaret Le Teckel de Robert Sellin, rue de Pont-Aven à Trégunc ;
  • la boîte de nuit Le Shogun, à la Boissière (Trégunc) ;
  • le dancing Le Phare aux Sables-Blancs à Concarneau, là où la séquence de bal du film Pêcheur d’Islande a été tournée le 14 décembre 1958 ;
  • la célèbre boîte de nuit de Guite, Le Korrigan, au quai Pénaroff, où rôde encore l’ombre de Gugu (Le Guern) le non moins célèbre barman ;
  • La Bigorne, ancien chalutier mouillé dans l’anse de Saint-Jean à Concarneau, l’originale boîte de nuit de Loulou Le Mouêllic.
Les deux salles de bal des années 1960

La salle Drouglazet dite Chez Gasche route de Saint-Philibert au bourg, est un lieu incontournable pour les bals de noce, mais aussi les bals des fêtes patronales et autres manifestations privées. Jos Drouglazet (dit Jos Gasche) était boulanger.
Beaucoup de Tréguncois se souviennent du banquet de leur mariage dans la grande salle que Gasche avait aménagée au-dessus du fournil. Cette salle de banquet pouvait accueillir deux cents personnes. Les jeunes de Trégunc s’y invitaient le soir pour danser, ne laissant parfois que peu de place aux familles des mariés. Il fallait que le parquet soit bien solide pour supporter les rythmes endiablés.
Dans cette salle, il y avait des spectacles des écoles publiques, du théâtre, des réunions politiques enflammées.

Spectacle de l’école publique de filles salle Douglazet dans les années 1930

La salle de Corentin Le Cras est située à Saint-Philibert. Le café Cras (nommé sans Le) est polyvalent, normal à Saint-Philibert, c’est un petit village à l’époque et il fallait avoir tout sous la main : restaurant, hôtel, salle de bal, bureau de tabac, menuiserie, pompe à essence.
La dynastie Le Cras de Saint-Philibert commence au début du XXe siècle. Qui n’a pas entendu parler de Nénène qui faisait si bien la cuisine et de son « tour de cochon » qu’elle fit en salant malencontreusement le cochon destiné aux Allemands avec du salpêtre (voir le récit du Ma Bro n° 3). Sa fille Louise lui succéda.
Ernest, le fils de Louise, était menuisier de formation. Il reprit le café et développa la menuiserie avec ses ouvriers Yvon Ster et René Bihan.
La salle de banquet était située au second étage. Elle pouvait, dit-on, recevoir trois cents convives. La cuisine était au rez-de-chaussée. Les serveuses devaient être sportives pour servir rapidement un rôti bien chaud.
Entre le bistrot et la menuiserie, la salle de bal à l’étage recevait de nombreux jeunes et des moins jeunes les jours de fête, notamment au pardon de Saint-Philibert. On pouvait aussi y faire banquet quand la salle du second était déjà prise.
Ernest animait les bals avec son saxophone. Durant la période 1960-1970, les bals de noce étaient renommés dans la région. Tintin Cras, le fils d’Ernest, reprit la succession du bistrot et de la menuiserie.
Les années passant, les salles ne répondent plus aux normes de sécurité. L’incendie du dancing de Saint-Laurent du Pont, dans l’Isère près de Chambéry, la nuit du 1er novem­bre 1970, fit 146 morts à cause du verrouillage des portes de secours pour éviter les entrées frauduleuses par cette issue. La boîte de nuit avait été inaugurée en avril 1970 et ce grand drame eut pour conséquence l’augmentation des contrôles et la fermeture de nombreuses salles de danse non conformes, notamment dans la région.
Tintin transforma alors la grande salle en chambres pour estivants. Le bistrot ferma en 2010 et le fils de Tintin devint animateur de jeux et d’évènements, une sorte de continuité de cette affaire.

La salle de bal était située à l’étage du bâtiment à gauche
La salle de bal était située à l’étage du bâtiment à gauche
Les bals du pardon du bourg ou de St-Philibert

C’était du temps où la rue de Pendruc traversait le bourg de Trégunc entre l’église et le presbytère pour rejoindre la rue de Pont-Aven. C’était du temps où la fête foraine du pardon apportait une foule immense de deux à trois mille personnes devant les manèges de Félix Gouin : l’auto-tamponneuse, la chenille, la nacelle ou chaises volantes. C’était du temps où l’on gagnait des peluches dans les baraques de forains installées tout autour de la place de l’église. En ce temps-là, les jours du pardon au bourg, il y avait trois bals : un le samedi soir, un le dimanche en matinée à 15 heures et un le dimanche soir, avec un orchestre de renommée régionale ou parfois nationale.
À Saint-Philibert, il y avait aussi une belle animation avec les autos tamponneuses, les loteries et, le soir, un grand bal dans la salle d’Ernest Cras. Le pardon de Saint-Philibert perdure aujourd’hui grâce à un comité des fêtes très dynamique, mais sans le bal.
C’était le bon temps… c’était le temps de la valse… comme le chantait Jacques Brel en 1959.

Les bals de noce

Dans les années 1960, l’entrée aux bals de noce était libre pour tout le monde. Le bal de noce était incontournable le samedi en soirée pour la jeunesse de Trégunc, en quête de distractions gratuites, c’était le moment des premiers verres, des premiers baisers. Cette tradition perdurait depuis les grandes noces d’antan comme par exemple, celle du triple mariage en 1921 de Francine Cras et François Carduner et de ses deux demi-frères et demi-sœurs, avec plus de sept cents invités.
Vers 20 heures, c’est l’entrée de bal des mariés et des invités avec une valse, ensuite on enchaîne avec un paso-doble, une java, un tango et plus tard, dans les années 1960, avec le slow, le twist, le madison et le hula-hoop.
Mais vers 21 heures, tous les jeunes de Trégunc, en véritables cohortes, s’invitent au bal de noce, envahissent la salle de danse en marchant souvent sur les pieds des invités. Quand le mariage se déroule chez Yvon Marrec, c’est Yvon avec son accordéon qui anime la soirée, et les notes de musique ne sont pas toujours respectées.
Les danses et la musique sont diversement appréciées par les invités les plus âgés, c’est la mode du yé-yé qui devient néanmoins un spectacle pour eux.
Les salles de bal de Trégunc sont à l’étage chez Drouglazet (Gasche), chez Marrec au bourg et chez Cras à Saint-Philibert. Le bal s’achève vers une heure du matin, certains fêtards sont bien éméchés, lichet mad, et d’autres sont complè­tement saouls, méo dall ou mezy dall. À cette époque il n’y avait pas de contrôle d’alcoolémie, les chars à banc étaient de sortie, et parfois les brouettes pour les plus proches de leur domicile.

Les danses et la musique

De 1930 à 1950, c’est le bal musette qui domine avec, en vedette, l’accordéon chromatique, mais il y a aussi du swing et du jazz.
Dans les années 1960, à la trappe les danses latinos : valse, tango et paso-doble (pas double). La guitare électrique devient l’instrument de musique privilégié, place aux rocks et aux slows, Retiens la nuit comme le chantait Johnny Halliday de 1962. Avec le twist, ce déhanchement en 1960, c’est le début de la séparation des corps, la danse devient individualisée et collective.
Ce changement de rythme, les parquets de la salle de danse de Drouglazet à Trégunc et Cras à Saint-Philibert, se souviennent encore de l’enchaînement des pas de la valse, du piétinement du slow et enfin de la statique du twist, c’est l’évolution des genres.

Les orchestres de la région

Le bal était animé par un orchestre dont au moins un des musiciens jouait de l’accordéon. C’était l’époque des Yvette Horner, Verchuren, Aimable, Georgette Plana et la célèbre valse le dénicheur ou les amants de Saint-Jean, et de Louis Corchia et plus tard son fils, Primo Corchia.
Jo D’Jégado (1915-2003) perdit la vue à sept ans et se consacra à la musique, En 1936, il jouait dans les bals de la région. Il était résistant pendant la guerre 1939-1945, les bals publics étaient interdits par une circulaire du ministère de l’Intérieur et par conséquent devinrent clandestins. Après la guerre, Jo D’Jégado fonda une école d’accordéon et de musique à Quimperlé.

Orchestre de D’Gérari-D’Jo de Pont-Aven
Orchestre de D’Gérari-D’Jo de Pont-Aven

Dans les années 1960, D’Gérari-D’Jo (Gérard Joly) de Pont-Aven avec sa chanteuse Dany Jolls et ensuite Daniel Fabry et son orchestre (Daniel Cozic de Fresq Coz et andré Le Roi de Bannalec) animèrent de nombreux bals de noce à Trégunc et dans la région. En 1962, les Jerrys’s, un groupe rock de Concarneau, aimaient les Beatles, et faisaient un tabac dans les salles de bal dans la région.
En 1964, les Tom’s fondèrent un groupe rock, plutôt Stones, à la fête du lycée Pierre-Guéguin de Concarneau avec cinq copains : Ded au chant, Jean-Charles et Pop’s à la guitare rythmique, Ritt à la guitare solo, Finger à la basse et Sazoul à la batterie.

Sources

  • Exposition sur les bals, 2015, Manoir de Kernault
  • Internet
  • Ma Bro et réunions “Commerces à Trégunc des années 1950”

Le bal de la classe 1965 dans la salle Drouglazet

Orchestre Les loups noirs
Orchestre Les loups noirs

L’organisation d’un bal de la classe était une coutume depuis de nombreuses années. À l’origine, c’était le bal des conscrits lors du conseil de révision dès l’âge de 18 ans. Se retrouver nu comme un ver devant les membres du conseil de révision et les maires des communes du canton, cela nécessitait de fortes libations et se terminait par un bal de la classe d’âge bon pour le service militaire. Désormais, ils se reconnaîtraient dans la rue par salut la classe, même entre filles !
Au seuil de nos 20 ans, nous commencions à nous émanciper des adultes. Alors nous étions une bonne vingtaine de jeunes tous et toutes nés en 1945 à Trégunc pour préparer cette soirée dansante. D’abord nous constituions un bureau du type association loi 1901, avec tenez-vous bien, c’est du sérieux, un président, une présidente, un et une secrétaires, un tréso­rier et une trésorière. Une parfaite mixité au bureau, un pied de nez aux écoles qui nous avaient séparés pendant tant d’années (la mixité à l’école en 1976). Ensuite nous devions recenser les naissances de 1945 à Trégunc, garçons et filles, mais sur cette liste vous aviez toujours une bonne moitié qui n’était pas intéressée par une telle organisation.
Après quelques réunions, la machine se mettait en marche. La date du dimanche 8 mars 1964 fut réservée, c’était également la période du Mardi gras, ce serait donc un bal masqué avec un concours et des prix pour les déguisements les plus originaux. L’orchestre choisi serait forcément du monde du yé-yé, à 19 ans c’était normal et à la mode. Dans l’équipe, il y avait toujours un copain qui connaissait un bon orchestre dynamique, ce serait Nico Luiz et les Loups Noirs de Brest. Un contrat était signé avec le chef d’orchestre, 750 F, c’était la moitié du budget. Ensuite l’imprimeur Plestan de Rosporden réalisait les cartes d’invitation et les affiches de bal. Il fallait aussi régler les impôts sur recette et la Sacem pour les droits d’auteur des musiques jouées, soit près du quart des dépenses.
Le forcing commercial auprès des copains, de la famille et des commerçants a permis la vente de plus de 400 cartes d’invitation à 5 NF ou billet d’entrée à 6 NF. Ce n’était pas évident de faire le plein de la salle à cette soirée, car les jeunes de Trégunc étaient plutôt partisans des entrées gratuites des bals de noce, il y avait à cette époque, une quarantaine de noces par an à Trégunc.
Enfin la grande soirée se présentait, les journaux locaux avait fait un tapage médiatique suffisant et la salle Drouglazet, chez Gasche, était pleine à craquer, nous permettant ainsi d’assurer une bonne ambiance et surtout pour les organisateurs une excellente recette. Sacrée soirée mémorable pour nous tous, peu habitués à l’organisation d’un bal, à la prise de risque, mais alors pour que faire de cet argent ?
Trois semaines après, lorsque les comptes ont été réglés, une nouvelle organisation se mettait en place pour un banquet au Fort-Bloqué ; le car Le Naour de Port-Manech était affrété. Il fallait bien dépenser cet argent jusqu’au dernier sou.
Quelle belle journée !

L’auteur


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