La relique de l'église de Saint-Philibert
De nombreux Tréguncois pensent que la dévotion à saint Philibert dans la région serait venue de Vendée par les marins. Est-ce une légende ? Ce saint est le fondateur de la célèbre abbaye royale Saint-Pierre de Jumièges en Normandie. Il décède dans l’île d’Hério (aujourd’hui Noirmoutier) en 684. Une partie de la relique de ce saint a été offerte par l’abbaye de Tournus à la à la paroisse de Trégunc.

Fil Bert (le plus brillant) est né vers 615 à Elusa (l’actuel Eauze dans le Gers). En 620, son père Fil Baud (le très hardi), est nommé évêque d’Atura (Aire-sur-Adour). À quinze ans, Fil Bert entre à la cour du roi Dagobert et commence des études pour devenir palatin. Il y rencontre Dadon (futur Saint-Ouen), chef de la Chancellerie. À 20 ans, il décide de devenir moine. En 650, il est élu abbé de Rebais en Brie. Très sévère et rigoriste envers ses moines, deux à trois ans après son élection deux moines allèrent un jour jusqu’à porter la main sur l’homme de Dieu pour le chasser de son église (Léon Jaude), il démissionna.
En 654, sous la protection de Clovis II et de son épouse la reine Bathilde, Fil Bert fonde l’abbaye de Jumièges (aujourd’hui en Seine-Maritime). Vers 670, Dadon, en désaccord avec Fil Bert, le met en prison puis le libère rapidement. Fil Bert est exilé à Poitiers. En 674, il crée le monastère d’Hério où il décède le 20 août 684.
La relique du saint
Le corps est placé dans un sarcophage en marbre gris-bleu. Redoutant les invasions normandes et en accord avec le roi Pépin d’Aquitaine, les moines décident de s’établir à Déas (actuel Saint-Philbert-de-Grand-Lieu en Loire-Atlantique).
Le 7 juin 836 les religieux quittent leur île sous la conduite de l’abbé Hilbod, ils se relaient pour transporter le cercueil 1 jusqu’à Déas. En 858, les moines doivent une nouvelle fois s’éloigner des envahisseurs. Ils se dirigent vers Saint-Cunault, la relique du saint étant placée dans un reliquaire. Puis en mai de l’an 862, ils gagnent Messais en Poitou 2. Ils atteignent Tournus le 14 mai 875, après un périple de 39 ans. La relique arrive dans des sacs en cuir.
La relique du saint est toujours dans l’abbaye de Tournus 3. Elle est mise dans une châsse en 1901. Avant cette date l’abbaye a offert de nombreuses parties de la relique.
Henri Curé, archiprêtre de Tournus, a dressé dans son livre Saint Philibert le Thaumaturge (1936), une liste importante de ces dons. Voici d’après les attestations officielles et les documents historiques les églises ou personnages qui ont reçu quelque relique insigne :
• Basilique de l’Ile Saint-Julien en Piémont (avant 1405) : une partie du chef, vingt dents, un os fracturé de la jambe, une côte, cinq sésamoïdes de pied et plusieurs osselets. Ces reliques ont été enfermées dans l’hôtel de la crypte ;
• Abbaye de Jumièges en 1493 : maxillaire inférieur et une côte. Jetés au feu par les huguenots, ces ossements furent remplacés en 1661 par le tibia droit offert par les chanoines de Tournus. Lors de la Révolution, toutes les reliques du monastère furent recueillies pêle-mêle, puis remises plus tard aux Bénédictins de Saint-Wandrille ;
• Ancienne église de Saint-Jean-en-Grève, à Paris, avant 1550 : cubitus gauche dont la moitié fut envoyée, en 1756, à Brétigny-sur-Orge ;
• Marie de Médicis (1630) : une vertèbre (disparue) ;
• Anne d’Autriche (1630) : une côte (disparue) ;
• Émilie de la Tour-d’Auvergne, carmélite au grand couvent du faubourg Saint-Jacques à Paris (1686) :
une côte (disparue) ;
• Fébronie de la Tour-d’Auvergne, duchesse de Bavière (1686) : un grand os de bras (disparu) ;
• Noirmoutier : (avant la Révolution) phalange de doigt (disparue), en 1839 fragment de vertèbre cervicale,
en 1901 côte gauche ;
• Saint-Philibert d’Albon (de temps immémorial) :
une partie des entrailles ;
• Saint-Philibert-sous-Gevrey : relique remise par
les Templiers ;
• Donzère (1833) : portion de crâne ;
• Saint-Philibert-du-Peuple : vertèbre fracturée ;
• Sainte-Quitterie d’Aire (1886) : vertèbre cervicale ;
• Chapelle de l’évêché d’Autun (1886) : fragment important du péroné gauche ;
• Saint-Philibert-sur-Orne (dernier quart du XIXe siècle) : gros fragment de péroné ;
• Les Olmes (1900) : parcelle placée jadis dans le maître-hôtel érigé sous la coupole de Saint-Philibert de Tournus ;
• Amplepuis (1894) : fragment du péroné gauche ;
• Saint-Benigne de Dijon, Moëlan, Trégunc (1901) :
côte droite partagée entre les trois paroisses ;
• Les Estable (1901) : fragment de côte.
Notes
Note : Les ossements conservés à Goudet (Haute-Loire) ne sont certainement de Saint Philibert. Mgr de Bonald, alors évêque du Puy, a refusé de les reconnaître, faute de documents ou témoignages en leur faveur. La confrontation avec la châsse de Tournus démontre clairement qu’ils sont apocryphes (extrait du livre Saint Philibert le Thaumaturge).
La relique, fragment de côte, offerte par l’abbaye de Tournus à la paroisse de Trégunc aurait disparu. Dans le reliquaire il reste un médaillon, que contient-il ?

À Saint-Philibert en Trégunc
À Saint-Philibert en Trégunc, la fête de la Translation de la relique est organisée par le recteur Canévet le dimanche 25 août 1901, jour du pardon. Celle-ci a été déposée dans un reliquaire en bronze doré. Dès le dimanche matin, à 8 heures, sous un beau soleil, la procession se met en place près de l’église du bourg de Trégunc. En tête, la belle croix d’or puis le reliquaire et les bannières ; suivent les sœurs et leurs élèves, le clergé et une foule de paroissiens. À une centaine de mètres de la chapelle, les processions de Névez et de Saint-Philibert rejoignent celle de Trégunc. Après l’accolade traditionnelle des croix et des bannières, la procession se dirige vers la chapelle, accompagnée des marins en uniforme blanc portant le drapeau national et le navire de Saint-Philibert paré de son grand pavois.
Des clairons sonnent la marche. L’église est trop petite pour contenir tous les paroissiens. La statue de saint Philibert enfant, vêtu d’une robe et d’un bonnet brodé d’or et d’argent à la mode des Bretons, a été placée dans le chœur. Cette curieuse statue en chêne, qui remonte à plusieurs siècles, est peut-être le décor le plus pittoresque et le plus touchant de la fête. La messe commence, chantée par monsieur Pédel, secrétaire de l’évêché. À l’Évangile, l’éloge panégyrique du saint est assuré, en breton, par le curé-doyen Godec d’Elliant. À l’issue des vêpres, la procession fait le tour de la chapelle. Après avoir baisé le reliquaire, la foule se retire.
À Moëlan-sur-Mer
À Moëlan-sur-Mer, la fête de la Translation de la relique a eu lieu le 18 août 1901. Le compte-rendu des Semaines religieuses de Quimper se termine ainsi : que les persécuteurs soient maires du palais d’Austrasie ou ministres des gouvernements actuels, nous savons que dans douze siècles on ne portera pas leurs restes en triomphe, l’encens ne fumera point pour eux.
Le pardon
Le Pardon de Saint-Philibert en Trégunc existe toujours, il a lieu le dernier dimanche d’août. À cette occasion, après la messe, le reliquaire est placé en tête de la procession, suivent un saint Philibert enfant, revêtu d’une robe blanche et coiffé d’un bonnet de baptême brodé d’or et d’argent, de nombreuses bannières, le bateau ex-voto de Saint-Philibert 4, le clergé, les paroissiens et les estivants. Plusieurs Tréguncoises et Tréguncois ressortent les costumes de fêtes d’antan, les coiffes et les broderies sont très appréciées par les touristes. Une bénédiction et des cantiques en breton sont suivis d’un pot de l’amitié près de la fontaine.
Pour mémoire : la chapelle de Saint-Philibert est devenue en 1946 église paroissiale jusqu’en 1996, date à laquelle elle redevient chapelle.
Plusieurs autres chapelles dans le Finistère sont dédiées à ce saint : Moëlan-sur-Mer, Saint-Évarzec, Plomelin, Plonéour-Lanvern, Crozon…
Quelques définitions
- Apocryphe : dont l’authenticité est douteuse ou niée.
- Châsse : coffre précieux contenant les reliques d’un saint.
- Palatin : dignitaire ayant certaines charges dans le palais du souverain.
- Parcelle : dans le sens fraction, fragment, morceau
- Sésamoïdes : petits os dans les articulations ou dans l’épaisseur des tendons
Notes
1 Le sarcophage vide est visible à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu.
2 Le passage de la relique en Auvergne à Saint-Pourçain est contesté.
3 En 1998, la châsse a été ouverte, le crâne et deux os ont été volés ;
au 9 novembre 2019, ils n’ont pas été retrouvés.
4 Maquette de la goélette l’Alcmène.
Sources
– les Semaines religieuses du diocèse de Quimper et du Léon de l’année 1901.
– Saint Philibert édition de 1856 par Philibert Le Duc (Gallica).
– Saint-Philibert le Thaumaturge d’Henri Curé (1936).
– Les remous de reliques à travers l’Armorique carolingienne de Jean-Christophe Cassard.
– La BnF (Bibliothèque nationale de France) a numérisé le livre Saint-Filibert, fondateur et abbé de Jumièges et de Noirmoutier. Sa vie, son temps, sa survivance, son culte (1910), 560 pages de l’abbé Léon Jaude, consultable sur le site Gallica