Jean Rostand et ses monstres

Le biologiste Jean Rostand est un homme de science que les Tréguncois connaissent par
ses études sur les batraciens difformes du loc’h Korziou près de Trévignon, qu’il appelait
les monstres. Mais il avait d’autres cordes à son arc, il était écrivain, poète, pacifiste, moraliste, vulgarisateur scientifique et libre-penseur.

Jean Rostand est né le 30 octobre 1894 à Paris. Il est le fils d’Edmond Rostand, écrivain, poète et académicien, particu­lièrement connu pour ses trois pièces de théâtre : l’Aiglon, le fameux Cyrano de Bergerac et Chantecler.

En 1900, la famille Rostand s’installe à Cambo au pays basque dans la villa Arnaga, magnifique demeure classée monument historique en 1995 (actuellement musée Edmond-Rostand). À dix ans, Jean Rostand collectionne les insectes et, à quatorze ans, il reçoit en cadeau un microscope : Je ne rêvais plus que cigales, mantes religieuses et grands paons de nuit, insoucieux désormais de ce qui n’était pas insecte. En 1911, après son baccalauréat série philosophie, il suit des cours à la Sorbonne et obtient les certificats de physiologie générale et de chimie biologique. Puis, désirant travailler seul, il revient à Cambo et crée son premier laboratoire dans le moulin situé dans la propriété familiale. En 1914, réformé, il travaille au laboratoire du Val-de-Grâce sur le traitement de la syphilis et de la typhoïde.

En 1920, il épouse Andrée Mante, sa cousine germaine. Au décès de son père en 1922, le couple quitte Combo pour Ville-d’Avry (Hauts-de-Seine) où Jean installe son propre laboratoire quelques années plus tard. Il aime écrire et publie quelques livres, La loi des riches, celui qui aime… en continuant ses travaux de biologiste sur les insectes. Il participe à la création du service biologie au Palais de la découverte. Il souhaite qu’un large public s’intéresse à la biologie et écrit de nombreux ouvra­ges de vulgarisation.

la polydactylie 1 des batraciens
Jean Rostand (source : cortecs.org)
Jean Rostand (cortecs.org)

En 1930, toujours intéressé par les origines de la vie, il oriente ses travaux sur les tares héréditaires des batraciens ; il aurait examiné plusieurs milliers de grenouilles. En 1936, le docteur Arthaud, propriétaire du château de la Pointe de Trévignon, attaché au Muséum d’histoire naturelle de Paris et ami de Jean Rostand, décède. Des bocaux de grenouilles sont découverts dans sa demeure. Quelle fut la collaboration du médecin dans les recherches du biologiste ?

Ce n’est qu’au printemps 1949 que Jean Rostand découvre la polydactylie des batraciens en examinant quarante-neuf grenouilles vertes (Rana esculenta) provenant du loc’h Korziou près de Trévignon. Certaines ont sur les pattes postérieures neuf doigts (au lieu de cinq) ou sur les pattes antérieures cinq doigts (au lieu de quatre). Aucune trace de cette malformation n’a été découverte sur les grenouilles des autres étangs limitrophes. Jean Rostand nomme ce phénomène “anomalie P”. Il procède alors à des croisements afin de déterminer si cette tare est héréditaire ; les examens montrent que les descendants de ces “monstres” sont tous normaux.

En 1952, Jean Rostand rend visite au laboratoire de biologie marine de Concarneau puis à son ami le docteur Maurice Luzuy propriétaire du château de Trévignon. Ce dernier l’accompagne à l’école de Saint-Philibert, les écoliers sont très fiers d’avoir rencontré un savant. La même année, il reçoit de M. Bouxin, adjoint au directeur du laboratoire cité ci-dessus, 319 têtards dont 125 présentent une polydactylie allant de 6 à 10 doigts, soit près de 40%. À la même époque l’examen de 117 grenouilles adultes révèle trois individus polydactyles seulement. Il dira : Ah ! je me souviendrai longtemps des premiers têtards trévignonnais.

Lʼanomalie P n’étant pas génétique, il émet une première hypothèse, elle pourrait être due aux déchets industriels rejetés par l’usine à iode située près de l’étang. En 1961, il écrit toutefois au laboratoire de Concarneau : ce défaut peut être engendré par l’action d’un virus véhiculé par certains poissons.

En 1966, Pierre Darré, qui deviendra l’élève et l’assistant de Jean Rostand, découvre des grenouilles vertes porteuses de l’anomalie P dans le lac de Grand-Lieu dans le canton de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu (Loire-Atlantique).

Lʼanomalie P reste un mystère

Dans son livre Les étangs à monstres, Jean Rostand précise : Je pense que l’étude des étangs à monstres était de celles qui convenaient tout particulièrement à mon tempé­rament de chercheur et à l’indigence des moyens matériels dont je dispose, et il ajoute : elle était bien faite pour tenter un artisan de la biologie, travaillant en solitaire et à l’écart des laboratoires officiels… Dans quel laboratoire subventionné aurait-on pu accepter de consacrer tant de peine et de temps à une étude si hasardeuse, d’issue si problématique ?

Quelques spécimens de grenouilles polydactyles sont conservés au laboratoire de biologie marine de Concarneau. En 1959, 56 ans après son père, Jean Rostand est élu à l’Académie française au siège d’Édouard Herriot.

Loc'h Korziou (étang de Trévignon)
Loc’h Korziou (étang de Trévignon)
Le militant

Il milite contre l’arme atomique et la peine de mort. Il participe à la création du Front international anti-nucléaire et devient président d’honneur du Mouvement français pour le désar­mement. En 1971, avec d’autres personnalités dont Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi, il fonde l’association Choisir la cause des femmes qui lutte notamment pour la dépénalisation de l’avortement. En 1976, il est président d’honneur au congrès de la libre-pensée.

En 1977, avec Pierre Darré, il souhaite créer un laboratoire de biologie d’eau douce qui aura pour but principal de donner aux jeunes le goût des sciences naturelles, d’éveiller en eux la conscience écologique et qui fera d’eux des protecteurs éclairés de la nature. Ce centre qui porte le nom de Centre Jean Rostand sera inauguré en 1981 après le décès du chercheur intervenu le 3 septembre 1977 à l’hôpital de Saint Cloud (Hauts-de-Seine), il avait 82 ans .

De nombreuses personnalités assistent à son enterrement au cimetière de Ville-d’Avray. Agnostique, il n’y a pas eu, selon ses dernières volontés, de cérémonie religieuse. À l’Académie française, son éloge funèbre est prononcé par son directeur Louis Leprince-Ringuet le 22 septembre 1977… on lui savait gré, à lui le scientifique, de dénoncer ouvertement, quand il le jugeait nécessaire, le mauvais usage de la science…

Ce poète qu’était Jean Rostand avait considéré comme une vraie vocation cette mission d’éclairer les hommes sur la grandeur et la beauté de la science. Aussi la rendait-il attrayante et aimable. Rarement le prix international Kalinga de vulga­risation scientifique, qui lui fut décerné en 1959, fut mieux attribué. Parmi ses nombreuses citations une qui lui correspond bien : Beau mot que celui de chercheur et si préférable à celui de savant ! il exprime la saine attitude de l’esprit devant la vérité : le manque plus que l’avoir, le désir plus que la possession, l’appétit plus que la satiété (extrait de Inquiétude du biologiste).

Jean Rostand, académicien, biologiste, naturaliste, moraliste, humaniste… est surtout connu pour ses recherches sur les grenouilles polydactyles, c’est regrettable.

Sources

  • Articles des journaux Le Télégramme des 05/03/2000 et 06/10/2002, Ouest France du 28/04/2016
  • Article de Michel Gueguen dans le bulletin municipal de Trégunc de juillet 2001
  • Dictionnaire Larousse, article Jean Rostand
  • Site www.academie-française.fr, Jean Rostand
  • Site Gallica : Académie des sciences, Jean Rostand
  • Livre de Jean Rostand, Les étangs et les monstres
  • La biographie de Jean Rostand sur le site de la villa Arnaga