Fort une de mer
Ce jour de mai 1897, ils sont à vingt-trois devant les juges, habitants de Trégunc ou de Névez. Certains d’entre eux écoperont de la prison ferme. Mais, cette bande organisée, qu’a-t-elle bien pu faire de si grave pour mériter une telle réprobation ?
Le 3 février 1897, le Passajès, un vapeur de 416 tonneaux, naviguant sous pavillon français, quitte l’Espagne avec à son bord seize hommes commandés par le Capitaine Colas. Il doit traverser le Golfe de Gascogne, contourner la Bretagne pour rejoindre Rouen, son port d’attache, et y livrer sa précieuse cargaison. Mais dans la nuit du 4 au 5 février, il talonne une roche à un mille au sud de Lesconil. L’eau envahit rapidement le navire qui se couche sur tribord et perd une partie de sa cargaison, sa chaudière prend feu. Avant de sombrer, tout l’équipage est secouru par le canot de sauvetage de Lesconil, le Foubert de Bizy.
La cargaison composée de barriques de vin est en partie récupérée mais 645 de celles-ci s’échappent et sont ramenées à la côte. Trévignon recevra cette manne providentielle dans la journée du 6 février.
Le vin coule à flot
Le journal Le Finistère dans son édition du 6 mai 1897 rend compte de l’audience du 4 mai 1897 du tribunal de Quimper (Police correctionnelle). On y apprend que, d’après la douane, les pilleurs d’épaves, hommes et femmes, s’étaient précipités à Trévignon ; leur nombre est estimé à deux cents présents à l’orgie au soir du 6 février et à trois cents la journée du 7. Ils buvaient qui avec leurs sabots, qui avec leurs chapeaux, qui avec des écuelles, certains même avec des betteraves creusées. Le sous-brigadier et ses douaniers du poste de Trévignon méritent les plus grands éloges pour la fermeté et le sang-froid dont ils ont fait preuve dans cette circonstance, des plus critiques pour eux.
L’avocat de la défense expose au tribunal les qualités de cœur que possèdent nos populations maritimes. Vous les voyez, dit-il, accourir au premier signal du sinistre pour porter secours aux naufragés ; malheureusement, lorsque l’heure du danger est passée, ces sentiments d’abnégation et de générosité font souvent place à de mauvais instincts, qu’elles ne peuvent pas maîtriser.
Seulement vingt-trois pilleurs ont été poursuivis pour avoir défoncé les barriques et bu le contenu. Ils seront condamnés à des peines de prison avec sursis pour certains (de trois à huit jours), pour d’autres à des peines de prison ferme allant de trois à trente jours.
Les 645 barriques n’avaient pas dérivé en totalité jusqu’à Trévignon, car on apprend par ailleurs qu’à Lesconil des marins avaient trouvé une utilité pour ces barriques… vides : conserver la boette, qui sert d’appât dans les casiers à crustacés. On ne sait pas ce qu’est devenu le contenu initial ! On sait seulement qu’à la même époque, le patron du bistrot Descente du marin avait constaté une baisse anormale de la fréquentation de son établissement.
Yec’hed mad !
Sources
– Le Finistère du 6 mai 1897 (Archives départementales du Finistère)
– Le site internet Lesconilquideau
