Avril 1963, Les enfants de mineurs de Montigny-en-Gohelle à Trégunc

Au printemps 1963, le bras de fer est engagé entre les fédérations CGT, FO et CFTC des mineurs et le gouvernement. Du 1er mars au 5 avril 1963, la totalité des bassins charbonniers français sont paralysés. Les grévistes sont réquisitionnés mais ne cèdent pas. Un immense mouvement de solidarité les accompagne, solidarité financière, solidarité en nature de la part des agriculteurs et des commerçants, accueil des enfants des grévistes, participation aux manifestations : le soutien est total !

Le premier comité d’aide aux mineurs du canton s’est formé à Trégunc. C’est donc notre commune  qui prendra l’initiative d’accueillir les enfants des mineurs. Trégunc va parrainer la cité minière de Montigny-en-Gohelle dans le Pas-de-Calais. Le parrainage se fera sur le plan communal et s’affirmera aussi sur le plan paroissial.

Le Télégramme du 1er avril 1963
Le Télégramme du 1er avril 1963
Mardi 2 avril 1963, le départ

Le mardi 2 avril 1963, un car transportant une délégation de mineurs et 53 enfants démarre de Montigny-en-Gohelle. Il est cinq heures du matin, la route va être longue (plus de 700 km) et à l’époque pas de voies rapides ni de contournement des villes. Le Pas-de-Calais est bien loin de notre Bretagne. L’arrivée à Trégunc est prévue aux environs de sept heures et demie du soir.

Accueil place de la mairie à Trégunc

La population est invitée à accueillir ces enfants de gueules noires devant la mairie. La foule est présente. Moi, je suis au premier rang, curieux de voir quelle tête pouvait avoir ces gars du nord de la France. À l’époque, je ne suis pratiquement jamais sorti du Finistère, alors rencontrer des gars de là-bas (je ne connaissais pas encore le terme Ch’ti) est pour moi une grande première. Dix ans plus tard je me marierai avec une Ch’ti ! Je suis avec mon copain Max. Ses parents font partie des familles d’accueil, il est impatient de les voir arriver car il se demande avec qui il va devoir cohabiter pendant deux semaines.
À 19 h 30, le car n’est toujours pas là. Le comité d’organisation annonce que le bus aura un peu de retard. Un “oohhh” de déception s’élève de la foule. Ce n’est pas grave : repli stratégique chez Édouard (Café des Sports) pour les hommes et les femmes attendront sur place !
Mais voilà, le petit retard se transforme en retard très important, le car s’est perdu dans Rennes, il a pris une route qui n’est pas du tout celle qui mène chez nous, on nous fait savoir qu’il faut encore attendre plus de deux heures. Les gens vont devoir rentrer chez eux ou mieux rester chez Édouard ou chez Mathieu (café de Phine-Jany) juste à côté.
Finalement, à 21 h 45, la population est de retour, voilà enfin l’arrivée du car. Ce retard n’a pas amoindri la chaleur de l’accueil. On peut même constater que l’ambiance est montée d’un cran (dopage ?).
Max et moi observons, nous tendons le cou, nous nous hissons sur la pointe des pieds, nous voulons voir à quoi ressemblent ces gens du haut de la France.
Les enfants sont accompagnés par quatre mineurs grévistes. Ils se présentent à nous vêtus d’un bleu de travail et coiffés d’un casque blanc équipé d’une lampe frontale. Moi, je suis impressionné.
Les mineurs nous font un beau discours, ils nous expliquent leurs problèmes, leur solidarité au-delà de tout clivage, ils nous disent que deux d’entre eux sont communistes et les deux autres catholiques pratiquants.

Les mineurs de Montigny remercient leurs hôtes bretons
Les mineurs de Montigny remercient leurs hôtes bretons

Nous étions loin de Don Camillo et Pepone. L’abbé Bello, curé de Montigny-en-Gohelle, remerciera tous les paroissiens de Trégunc pour la collaboration entre chrétiens et non-chrétiens en vue du bien commun et dans le respect des convictions de chacun.
Les enfants épuisés descendent du car, nous les regardons passer et nous remarquons qu’ils sont bien jeunes, ce qui inquiète Max, douze ans à l’époque, il aimerait bien héberger quelqu’un de son âge.
Pour les enfants, le calvaire n’est pas fini, ils doivent attendre dans la mairie pour connaître leur famille d’accueil… Deux d’entre eux vont même devoir continuer jusqu’à Brest. Finalement, mon copain est ravi, c’est Patrick, un des plus âgés du groupe, qui sera accueilli chez lui. Je vais donc connaître un gars du Nord.
Les enfants vont pouvoir passer leurs vacances de Pâques dans une Bretagne qui s’est tout spécialement ensoleillée à leur intention. Quarante-huit heures plus tard, le bus repart pour Montigny-en-Gohelle avec deux tonnes de vivres collectés à Trégunc et à ConcarneauQuarante-quatre familles ont accueilli cinquante-trois enfants, trente-cinq foyers avec un enfant et neuf foyers avec deux enfants.

Deux enfants de mineurs (à droite) hébergés chez Francis Briant
Deux enfants de mineurs (à droite) hébergés chez Francis Briant

Trente-cinq hébergements se sont faits sur la commune de Trégunc, quatre à Concarneau, deux à Brest, un à Pont Aven, un à Quimper et un à Châteauneuf-du-Faou.
Les mineurs reprendront le travail le 4 avril 1963 et les enfants resteront jusqu’au 18 avril en Bretagne.

Le Télégramme du 4 avril 1963